Crises financières, chroniques d'une histoire courrue d'avance

Par François GALVIN  •   Publié le vendredi 27 octobre 2023
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Encore et toujours la même histoire. 

Le vendredi 28/09/2022 a bien failli être un bis repetita de 2007 et la faillite de Lehman Brothers, de LTCM en 1998 et consorts. Étrangement, on n'en a pas beaucoup entendu parler, excepté dans des médias très spécialisés. 

 

Tout au plus une mention d'une intervention en urgence de la Banque d'Angleterre pour sauver un fonds de retraite. Et de son impact en termes d'inflation qu'elle est pourtant censée combattre en augmentant son taux directeur. 

 

Probablement que l'extrême complexité du fonctionnement des banques et fonds de pension n'est pas suffisamment sexy pour que l'on y consacre du contenu. 

 

Il n'empêche, ce qui se trame ici, on l'a déjà vécu, et il y a fort à parier qu'on le revivra. 

 

Pas sexy, trop complexe. 

 

En cause ? L'extrême complexité citée ci-dessus. Pour être un peu plus clair à ce sujet, les fonds de pension doivent assurer un certain rendement de leurs fonds gérés afin de pouvoir payer les retraites de leurs investisseurs (le raisonnement peut également s'appliquer à un fonds d'investissement ou à une banque). Lorsque tout va bien, les prises de risques ne sont pas excessives et quand bien même elles le seraient, l'évolution favorable des marchés auxquels ils s'exposent fait que personne ne remarque rien. Tout va bien donc, et peut-être même que le rendement servi à leurs investisseurs est plus important que prévu. 

 

Lorsque je parle de prise de risque, il s'agit d'exposition aux marchés (dans ce cas précis, le marché des obligations d'État anglaises à 30 ans) via des produits dérivés. La particularité des produits dérivés est l'effet de levier qui y est associé. Mais également les échéances et les appels de marge qui font que les produits dérivés acquis, même de manière marginale, peuvent se transformer en épée de Damoclès pour les gérants de fonds et leurs investisseurs. 

 

Mais si l'histoire regorge d'exemples où ce type de situations s'est produit, 

 

Pourquoi y sommes-nous de nouveau confrontés ? 

 

La réponse réside dans la mathématisation des métiers de la finance. En effet, les gérants de fonds et leurs équipes utilisent des formules et autres outils afin de leur permettre une optimisation du rendement tout en tenant compte des contraintes de risque. C'est sur la prise en compte des contraintes de risque que le bât blesse. En effet, les modèles utilisés se fondent sur l'historique de l'évolution des marchés auxquels ils s'exposent, bien que, en tant qu'investisseurs, vous devriez savoir que les performances passées ne préjugent pas des futures... mais dans le monde de la finance, c'est comme ça que ça marche !

 

 Dans le cas présent, entre le 22/09 et le 28/09, l'évolution du rendement demandé par les investisseurs pour les obligations d'État anglais à 30 ans est passée de 3.5 %/an à plus de 5 %. Avec en fond le risque perçu par les investisseurs du plan de relance du nouveau gouvernement britannique. Cette évolution n'a jamais été observée sur les obligations d'État à 30 ans britanniques, ce que de nombreux observateurs appellent une "anomalie statistique". Comme si les facteurs influençant la perception du risque par les investisseurs actuels étaient relatifs au passé, aux statistiques du rendement de ces obligations... 

 

Et ce n'est pas la première fois ! En 2007, c'était la même histoire avec les Credit Default Swap indexés sur le marché immobilier américain (les fameux subprimes) qui avaient connu un boom fulgurant au cours des années précédentes. En 1998 pour LTCM, ce furent des prix Nobel d'économie qui avaient lancé un fonds géré uniquement de manière quantitative et mathématique qui intervenait sur le marché des taux de change, et furent surpris par la crise financière russe.

 

Problèmes de l'utilisation des statistiques et cygnes noirs 

 

Bref, les mathématiques financières font peser un risque très élevé sur notre système financier. Non pas que les formules et les chercheurs qui les mettent en place ne soient pas brillants. Mais simplement que le sujet de la finance (et son sous-jacent l'économie) sont des disciplines "sociales" et pas physiques. Les mathématiques sont un outil créé par l'être humain pour l'être humain. Elles permettent de traduire les phénomènes physiques observables de manière à ce que le cerveau humain puisse les comprendre. Mais la physique est invariante. Ce que l'on observe se répète. Malheureusement (enfin plutôt heureusement, sinon notre avenir nous serait dévoilé !), ce n'est pas le cas des êtres humains et de leur comportement. 

 

Les mêmes reproches sont faits aux économistes qui théorisent depuis plus de 100 ans au travers de formules ne reflétant pas le comportement réel des individus et organisations. Lorsque l'on "fige" une formule (qu'il s'agisse de l'offre et de la demande pour les plus basiques, ou la théorie moderne du portefeuille pour les plus complexes), on s'abstrait nécessairement de la variabilité des comportements humains en posant des postulats (comme la rationalité des individus, par exemple) qui permettent d'établir une belle formule mathématique. Mais dont la capacité à expliquer et anticiper la réalité est mauvaise. Les mathématiques financières et économiques considèrent les statistiques passées comme des "invariants" ou, à tout le moins, comme un reflet de ce qu'il pourra se passer à l'avenir. Tout ce qui n'en fait pas partie ne pourra pas se passer. 

 

Nassim Nicolas Taleb (ancien trader en produits dérivés devenu statisticien) a étudié ce problème et considère que les statistiques telles qu'elles sont utilisées à ce jour (gaussiennes) dans les milieux économiques et financiers font peser un très grand risque sur le système financier car elles excluent le "cygne noir", autrement dit l'anomalie statistique ou les événements extrêmes. Il va même plus loin en détaillant quels domaines peuvent être appréhendés de manière gaussienne, et quels domaines sont soumis à des variations extrêmes, scalables, pour lesquels nos modèles mathématiques et statistiques ne correspondent pas. Et l'activité humaine (politique, entrepreneuriale, investissement, etc.) en fait nécessairement partie. Pour ces activités, mieux vaudrait un modèle qui se voudrait plus descriptif qu'explicatif, chose que les mathématiques excluent. 

 

Mêmes outils, mêmes pratiques, mêmes conséquences 

 

Donc malheureusement, ce que nous avons déjà vécu par le passé, que nous avons failli vivre récemment, sera amené à se reproduire. Même si on ne sait pas où, quand ni comment, la période économique et sociale actuelle inédite (populismes pour le politique, mélange d'inflation, de dette et d'absence de croissance pour l'économie) amènera probablement un établissement financier d'envergure reposant sa stratégie d'investissement sur des formules mathématiques complexes à être en forte difficulté dans les mois/années à venir. Et accélérera le cycle de contraction économique que nous sommes en train d'expérimenter avec une nouvelle crise financière.

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