PIB, sociétés modernes et transition

Par François GALVIN  •   Publié le mercredi 03 janvier 2024
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Objectif de cet article : Comprendre pourquoi le PIB est aussi important aujourd’hui alors qu’on sait qu’il ne représente, ni le bien-être de la population, ni un indicateur pertinent pour faire évoluer nos sociétés. Comprendre comment nos sociétés modernes fonctionnent, afin de cibler les rouages qui pourraient être activés pour les faire évoluer en les rendant viables, tout en conservant un maximum de nos acquis.

 

La notion de PIB et la recherche de croissance

 

Le Produit Intérieur Brut. Un mot barbare pour un agrégat qui ne l’est pas moins. Qui permet de « quantifier la valeur totale de la « production de richesse » annuelle effectuée par les agents économiques résidant à l'intérieur d'un territoire » si l’on s’en réfère à Wikipédia. La production de richesse étant elle-même évaluée en fonction de transactions marchandes. Excluant donc le travail d’un conjoint au foyer, d’un aidant familial ou d’un bénévole pour une quelconque association. Voilà ce qui attire le plus de critiques à la notion de PIB : elle mesure une richesse qui n’est que relative.

Mais pourquoi donc s’obstine-t-on à l’utiliser, plus encore à fonder nos politiques économiques pour rechercher sa croissance ?

Tout simplement parce que c’est la seule manière (avec d’autres indicateurs tout aussi obscurs tels que le PNB par exemple) que nous ayons d’estimer, à l’échelle d’un Etat, la solidité de son économie.

Mais pourquoi est-ce qu’on recherche à prouver la solidité d’une économie ?

Car nos économies nationales sont, à ce jour, interconnectées. Car nous avons des créanciers et des débiteurs. Et que, pour le cas de la France, nous avons beaucoup (beaucoup) de mal à financer nos dépenses publiques annuelles via les seules rentrées fiscales. Conséquence : on émet de la dette. Donc l’émission de dette publique en dépend.  La confiance dans le système monétaire en dépend aussi (surtout depuis la fin de l’étalon-or). 

En conséquence, si l’on admet publiquement qu’il faut de la décroissance, on se retrouve en quasi-défaut de paiement. 

Impossible dès lors de lever de la dette, … sachant que l’on n’a pas équilibré un budget depuis presque 40 ans, on comprend les difficultés d’un politique, au-delà même des préoccupations sur l’emploi et le niveau de vie en général, … d’admettre un tel changement.

La croissance du PIB (ou son maintien à minima), c’est la garantie faite aux investisseurs de la solvabilité de l’emprunteur qu’est l’Etat.

 

La fuite en avant et dissonance cognitive

 

En fait, sans même y réfléchir, la composante financière qui a permis la période de forte expansion que le monde a connu comporte un vers. Même si nous acceptions collectivement de modifier drastiquement nos conditions de vie et acceptions collectivement la décroissance, cela remettrait complètement en cause le système financier mondial et engendrerait de gros dégâts. Plus de capacité de lever de la dette, fermeture des frontières financières, potentiels conflits géopolitiques pour recouvrer les impayés. Et encore, le schéma de pensée est tellement lointain qu’il nécessite une certaine abstraction pour tout imaginer. Ce qu’il y a de sûr, c’est que malgré la connaissance et la prise en compte du problème de viabilité de notre système économique, on a accéléré les facteurs rendant sa résolution de plus en plus difficile. Notamment via la croissance de l’endettement et la politique des banques centrales entre 2011 et 2022. En gros, on a appuyé sur l’accélérateur en s’approchant du mur.

 

Même sans la contrainte écologique, le constat est bien la finitude des ressources et donc la non-supportabilité du modèle à long terme. C’est d’ailleurs ce fait qui, je pense, amène de nombreux chercheurs en économie et politiques à éluder cette question, préférant se reposer sur l’espoir que le progrès technique nous offre une solution toute faite (effet de la dissonance cognitive). Mais ce faisant, ils abandonnent la précision de l’analyse qu’ils peuvent par ailleurs très bien mettre en œuvre. En effet, il est difficile quand on rentre dans le stock de ressources et notre consommation (à fortiori en croissance), d’arriver à une conclusion différente. Et leurs travaux, tout comme la construction de nos institutions et leur maintien, dépendent tellement de la croissance économique que peu d’insiders osent la questionner.

 

Stabilité, prévisibilité et marge de manœuvre 

 

Ce refus de se confronter à un état de fait se constate également pour d’autres éléments que l’utilisation du PIB et sa croissance. Enfin, dans toutes les règles issues d’un monde en croissance non questionné, mais qui sont également aux fondements de nos sociétés modernes, stables et relativement prévisibles. Mais déconnectées de la réalité physique. En fait, c’est le coût de la prévisibilité. C’est ce qui fait que nous ne pouvons pas faire demi-tour rapidement. Tout notre monde, qu’il soit individuel, professionnel ou institutionnel, est bâti sur le fait que l’on fera plus demain qu’aujourd’hui. Sans cette hypothèse de croissance implicite, pas de plan de financement, de plan de carrière, pas d’assurance, pas de modèle mathématique permettant de préparer l’avenir avec l’argent dont on ne dispose pas encore. Et il est très difficile de penser un autre modèle qui pourtant sera (est déjà d’ailleurs) nécessaire, le monde réel dans lequel nous vivons devenant de plus en plus incertain sous les contraintes physiques et environnementales. 

 

Ce pourquoi, lorsqu’on rentre dans les détails et la complexité des problèmes auxquels on fait face, on se rend compte que si l’on veut, à moindre coût sociétal, changer de modèle, on ne pourra pas le faire du jour au lendemain. Et il faudra accepter toutes ces incohérences (actions qui semblent aller dans le mauvais sens) pour utiliser la marge de manœuvre financière dégagée afin de faire évoluer ces états de fait. Mais par contre ne pas perdre de vue l’objectif, car cette marge de manœuvre risque de ne pas durer longtemps.

 

Ne nous trompons pas d’adversaire

 

À ce titre, ci-dessous la dernière phrase du long rapport de Carbon4 concernant le découplage : « Au-delà de la place du PIB dans notre économie, se pose surtout la question suivante : “à quoi voulons-nous donner de la valeur ?”. Est-il opportun de penser le découplage à partir d’un indicateur qui n’est pas, en l’état, un indicateur de prospérité ? L’ambition du découplage est également l’occasion d’envisager un indicateur (ou plusieurs) de bonne santé de nos sociétés et de nos écosystèmes plus robustes que le PIB pour orienter nos choix. Cela contribuerait à relever le défi du siècle : inventer des systèmes socio-économiques permettant de vivre une vie épanouissante à l'intérieur des limites planétaires. »

 

Cette phrase est significative, car elle dénote de l’incompréhension du problème des fondements de notre société. De cette intrication croissance / prévisibilité qui dépasse le simple agrégat du PIB. Et le constat n’est pas nouveau, les premiers datant de 1968, au travers du club de Rome et le rapport sur les limites de la croissance. Hasard ou coïncidence, c’est à peu près à cette période-là que nous avons commencé à nous rendre encore plus dépendants de ladite croissance. En complexifiant toujours plus notre système économique et financier, en nous rendant interdépendants et surtout en émettant toujours plus de dettes. Bref, en augmentant toujours plus notre niveau de vie et en rendant le futur encore plus prévisible (ce sera mieux demain qu’aujourd’hui). L’interdépendance n’est en elle-même pas un problème, au contraire, mais si les fondements de l’interdépendance sont sains. Autrement, on rend encore plus complexe le virage à prendre, les décisions collectives et donc le changement sociétal. 

 

Donc la question ce n’est pas « à quoi voulons nous donner de la valeur ? » mais plutôt, pourquoi donnons-nous toujours autant (si ce n’est plus) de valeur à la croissance et au PIB ? De la réponse à cette question dépend beaucoup de ce que nous pourrons faire ou non. De la compréhension de l’infinité de relations qui ont été tissées entre la croissance et notre mode de vie, bien au-delà de la notion de PIB, dépendront les décisions qui pourront être prises et leur temporalité. Comme l’indiquait le rapport Meadows en 1972, « plus la prise de décision sera tardive, plus elle deviendra difficile à mettre en place. » Et nous y sommes, 50 ans plus tard, 2 fois plus d’êtres humains sur terre, moins de ressources malgré une consommation qui semble difficile à juguler et un niveau de vie toujours croissant.

 

Voilà le cadre de cette réflexion posé. Rentrons maintenant dans les détails et essayons de proposer des solutions !

 

La suite de cet article est reservée aux membres du club eldorago.

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