Les banques, ce bouc émissaire bien utile

Par François GALVIN  •   Publié le jeudi 18 avril 2024
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Les sociétés humaines ont besoin de boucs émissaires. Du moins, si l’on en croit les diverses études sociologiques et expérimentations au travers l’histoire : désigner un (ou plusieurs) bouc émissaire permet d’attribuer simplement la cause de nos maux. De ne pas avoir à comprendre réellement de quoi on souffre. De ne pas avoir à se remettre en question.

 

Si cela calme une colère immédiate, les problèmes de fond ne sont par contre jamais réglés par ce biais. Et les conséquences sont parfois désastreuses quand le bouc émissaire désigné est une ethnie ou une religion.

 

Dans nos sociétés capitalistes modernes, où la prise de parole publique est simplifiée par les réseaux sociaux (mais où une bien-pensance générale inhibe les critiques minoritaires), les banques endossent souvent ce rôle. Et à part le monde politique, aucune autre institution (ou acteur) n’est autant ciblée.

 

Ce peut être à des fins commerciales de la part de professionnels de la finance qui louchent sur la clientèle pléthorique et captive des banques. Cela peut également être à des fins militantes de la part d’ONG, notamment dans le cadre de la transition énergétique. Cela peut également être par la société civile dans son ensemble notamment dans les moments où leurs dysfonctionnements causent des dommages sociaux forts (crises financières). 

 

Une chose est sûre, il est aisé de s’attaquer aux banques. On ne craint, ni la vindicte populaire, ni une défense farouche de leur part. On dirait presque qu’elles se sont habituées à ce statut.

 

Dans tous les cas, les critiques sont fondées. Les professionnels de la finance voient bien que tant d’un point de vue technologique, tant dans la relation client, les banques sont en dehors du jeu depuis déjà quelques décennies. Les ONG observent à juste titre les entreprises financées par les banques, parmi lesquelles des exploitants d’énergie fossile qui explorent de nouveaux gisements alors qu’il y a consensus scientifique quant au fait qu’il faille tout stopper dès à présent. Et lors des crises financières, il y a en effet un vrai problème (qui ne concerne pas tous les pays de la même manière) de privatisation des gains par les banquiers qui prennent des risques vs mutualisation des pertes des banques sauvées par l’argent public.

 

Donc, oui, les critiques visant les banques sont fondées.

 

Le problème tient plus de l’inefficacité de ces démarches. Parfois, de leur hypocrisie. Dans tous les cas, cela participe à la mécompréhension de ces institutions, de leur fonctionnement ainsi que de leur rôle dans nos sociétés.

 

 

A) L'hypocrisie

 

L’hypocrisie concerne principalement les concurrents des banques. Parfois, c’est la manière qu’ils ont d’être rémunéré. On critique la banque qui ne joue pas son rôle de conseil en ne proposant que des produits financiers maison avec de mauvais conseillers pour mettre en avant sa propre expertise, son offre de produits, … sans préciser que dans le conseil, tout est une question d’humain. Et qu’il y a probablement autant de « bons » banquiers que de bons « conseillers indépendants ». Et c’est surtout au niveau de leurs modes de rémunération que l’hypocrisie atteint son paroxysme. Car la plupart des « conseillers indépendants » ne se rémunèrent qu’au travers des produits qu’ils vendent là où un conseiller bancaire ne sera que très marginalement intéressé aux ventes qu’il réalisera. Cela ne préjuge pas des compétences des personnes, mais savoir que la rémunération de mon interlocuteur n’est pas liée aux produits que je souscrirai me rassure un peu dans cette situation … en tout cas plus qu’une critique partiale et biaisée de concurrents pour venir me démarcher. 

 

D’autres professionnels utilisent également les banques comme bouc émissaire publicitaires alors même qu’elles sont tributaires des banques, de leurs infrastructures et de leurs agréments réglementaires. Ce sont souvent des Fintech, qui louent une partie de l’activité des banques, que ce soit pour développer des systèmes de paiement, ou même lancer services concurrents (les néo-banques). Ici, l’hypocrisie me frappe d’autant plus que ce qui explique la différence de service est précisément ce qui permet au concurrent d’exister. En gros, ils n’ont pas à supporter les couts de structure des banques, et peuvent développer à moindres frais des solutions partiellement concurrentes plus efficaces. Le tout en critiquant vertement ceux là même sans qui ils ne pourraient pas exister …

 

 

B) L'inefficacité

 

L’inefficacité de ces démarches est une autre affaire. Je ne saurais dire si critiquer les concurrents paie d’un point de vue marketing. En tous cas, ce n’est pas ce que l’on apprend en général. Et c’est souvent signe que l’on a à proposer n’a pas suffisamment de valeur. Et les Français semblent attachés à leur conseiller de proximité, et aucun acteur indépendant ne peut proposer un interlocuteur attitré pour ce tarif. 

 

Pour ce qui est de l’action des ONG, l’inefficacité est relative. Si l’on veut un changement radical, les accusations des banques de la part des ONG ne sont pas efficaces (pour des raisons que nous explorerons plus loin). Si par contre on regarde l’inflexion de la politique de financement des banques à un horizon plus ou moins lointain, on peut y voir une forme d’efficacité. Après, à mes yeux, si l’objectif est de modifier le comportement et la politique de financement des banques, cela pourrait être efficace. Si par contre l’objectif est d’empêcher certains projets écocides de voir le jour, c’est un coup d’épée dans l’eau. L’argent étant fongique, son origine importe peu. Ce qui importe, c’est que les projets dangereux pour notre avenir voient le jour ou non. Et cela ne peut se gérer au niveau d’une banque ou même d’un gouvernement. En outre, le name and shame qui est pratiqué engendre un effet pervers sous cette lumière, certains acteurs politiques se présentant ouvertement comme climatosceptiques. Et « sanctionnant » les acteurs de la finance qui privilégiaient les investissements un peu plus vertueux que la moyenne (c’est notamment le cas de l’Etat du Texas aux USA). C’est d’ailleurs un des effets pervers de l’approche bouc émissaire à l’appui d’arguments militants : cela clive l’opinion et risque de générer un contrecoup en faveur des acteurs ostracisés (ici les banques).

 

Enfin, s’agissant du rôle des banques dans les crises financières, force est malheureusement de constater que les pratiques n’ont que peu évoluées. Ce qui a été mis en place à la suite de la crise des subprimes de 2008 est principalement un renforcement des fonds propres des banques pour limiter un peu ce risque. Mais sans le faire totalement disparaitre. Bien qu’aucune crise financière majeure ne soit survenue depuis 2008, on est passé vraiment très près à plusieurs reprises, avec les mêmes mécanismes en jeu. Lors des périodes fastes, les banquiers engendrent de forts profits (et les bonus qui vont avec) mais lorsque la conjoncture se retourne, ils ne sont pas (ou très peu) redevables vis-à-vis de la banque ou de la société dans son ensemble s’il y avait recapitalisation.

 

 

C) La méconnaissance du fonctionnement et du rôle des banques

 

C’est ici à mon avis que le pire se joue. Car cela fait maintenant plusieurs décennies que les banques sont des coupables idéaux de nombreux maux comme exposé plus haut. En conséquence, on finit par s’y habituer et on ne souhaite pas forcément comprendre le pourquoi. Au-delà du sentiment dangereux d’impuissance généré, les banques étant toujours là et aussi puissantes, de moins en moins de gens comprennent et veulent comprendre comment et pourquoi les banques fonctionnent. Signe de cette mécompréhension, je me souviens plus de nombre de fois où j’ai dû préciser à des personnes qui ne me croyaient pas qu’aucune banque française d’avait couté d’argent public en 2009 (au contraire, elles en ont rapporté !). Et plus le temps passe, plus les traces disparaissent (pour plus d’informations, cet article de 2011 : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/banque/20110226trib000604372/les-banques-francaises-s-acquittent-de-leur-dette-envers-l-etat.html)

 

Or, c’est précisément ce à quoi on devrait s’intéresser si souhaite régler les problèmes pointés du doigt par les critiques s’attaquant aux banques : comment et pourquoi elles fonctionnent ?

 

Car les banques sont des institutions qui existent depuis fort longtemps et à qui nous avons délégué des missions qui les rendent quasiment irremplaçables : protéger les dépôts d’argent ainsi que leur liquidité et allouer des financements aux acteurs de l’économie. Ces deux missions ne peuvent d’ailleurs pas être dissociées, les dépôt servant (de manière partielle) à octroyer les financements.

 

Ces missions sont tellement anciennes et enracinées dans le fonctionnement de nos sociétés modernes que l’on ne prête même plus attention au fait qu’elles ne sont pas des acquis. Elles participent pourtant de manière importante à la stabilité et à la prévisibilité de notre économie et de notre société. À l’instar d’un système juridique impartial, exhaustif et adaptable. C’est grâce à ces missions que l’on peut simplement se projeter dans l’avenir en contractant un crédit (à taux fixe) pour acquérir sa maison et l’amortir sur 20 ou 25 années. Que l’on peut financer sa société afin de lui permettre de démarrer, de faire face à une mauvaise passe sans licencier ou encore de la transmettre à ses salariés sans avoir à liquider l’entreprise lorsque l’on part à la retraite et qu’aucun acheteur ne s’y intéresse. C’est également grâce à ces missions que l’on peut à tout moment accéder à l’argent que l’on a mis de côté, sans craindre qu’une partie ai disparu, et en disposer pour préparer ses projets.

 

 

D) Comment cela se passe-t-il en l’absence de banque ?

 

La mise en relation entre acteurs disposant de cash et acteurs en besoin de financement est directe : il faut s’entendre avec un ou plusieurs acteurs afin de financer son projet. Mais il faut également négocier avec eux les termes de remboursement ainsi que les conditions financières. Tous ne seront pas forcément d’accord pour immobilier leurs liquidités aussi longtemps. Préparer un projet devient beaucoup plus compliqué. Les évolutions technologiques récentes (Internent, Blockchain) permettent cette mise en relation directe (via les plateformes de crowdfunding par exemple). Par contre, à ce jour, il n’y a pas de plateforme de crowdfunding qui permette à un particulier de financer sa maison sur 25 ans. Ni à une entreprise de financer sa trésorerie pour faire face à une période plus difficile. Et quand ces solutions existent, les pourvoyeurs de cash demandent une rémunération sans commune mesure avec les taux d’intérêt pratiqués par les banques. Par définition, en tant que pourvoyeur de cash, l’argent investit n’est pas liquide. Impossible de demander à en récupérer une partie en dehors du cadre contractuel défini lors du financement. Et il n’y a pas non plus de mutualisation de grande envergure. Ce qui implique que si le ou les projets accompagnés font défaut, on perd son épargne (ce qui explique d’ailleurs que les taux demandés soient plus importants).

 

Bref, une étude rapide de la situation nous fait nous rendre compte qu’en l’absence de banque, l’argent circule de manière beaucoup moins fluide au travers de la société. Que son allocation est moins efficace. Qu’il n’y a plus de placement sans risque, ni de placement liquide. Que les sociétés sont moins stables et les cycles économiques amplifiés. À ce titre, la France fait figure d’exemple tant l’économie est intermédiée par les banques. Le système anglo-saxon, faisant beaucoup plus appel aux marchés financiers directement, est un bon point de repère. Les banques y jouent un rôle plus marginal (et sont d’ailleurs plus disséminées – moins puissantes mis à part les plus grands acteurs). Les crises financières viennent souvent des pays ayant adopté ce mode de gestion directe de l’argent. Les faillites bancaires y sont plus fréquentes, les prêts à taux fixe quasi-inexistants, et les phases d’expansion comme de récession plus marquées.

 

 

E) Quel lien entre le rôle des banques dans notre société et les critiques adressées ?

 

Il est partout, sans forcément que l’on s’en rende compte. 

 

Pour les acteurs du monde financier qui critiquent (hypocritement) les banques pour leur vétusté technologique et leur mauvaise relation client : c’est principalement une question de contraintes réglementaires et de taille. Aucune des critiques ne dispose d’un réseau de 2000 points de vente ni de 3000 clients – pas forcément rentables – par point de vente. Aucun ne doit supporter le cout de la sécurité des données, des infrastructures (énormes), des agréments leur permettant d’exercer, … Bref, aucun ne serait capable de remplir les mêmes missions. Eux ne prennent en charge qu’une petite partie de ces missions à la fois. Ils seraient bien incapables (et n’en ont d’ailleurs nullement l’ambition) de devenir des banques (bien que leurs messages publicitaires soient assez trompeurs sur ce point – notamment les néo-banques).

 

Pour les ONG qui pointent du doigt la mauvaise allocation des fonds vers des acteurs aggravant la crise climatique. Et établissent par la même occasion un équivalent carbone de sommes laissées sur son compte en banque (ce qui relève du scope 3 des émissions et est sujet à débats) : c’est également à cause de leurs missions de centralisation des dépôts et allocation des financements que les banques étaient jusqu’ici agnostiques en matière de secteur financé. Seules les données financières comptaient. Car la diversification est au cœur même de la capacité d’une banque à conserver la valeur ainsi que la liquidité des dépôts tout en octroyant des financements. Si à un moment un secteur est privilégié plutôt qu’un autre, et que ce secteur va mal ultérieurement, c’est la banque en tant que centralisateur qui peut ne plus être en mesure, ni de sécuriser les dépôts, ni de financer les acteurs. De ce point de vue là, la banque n’a pas pour mission d’orienter les capitaux. Une société de gestion ou un fonds d’investissement oui car eux, n’ont pas pour mission cette sécurisation (spoiler alerte, même les fonds les plus « engagés » financent des acteurs loin d’être clean, mais d’autres explications sont à invoquer). La mission de la banque n’est pas là. Et pour atteindre sa mission, elle se devait, jusqu’ici, d’être neutre. De ce point de vue, les banques sont le reflet de notre société. Tant que l’on ne décidera pas collectivement (et en toute connaissance de cause et d’implications) d’arrêter totalement certaines activités, les banques se devraient presque de continuer à les accompagner …

 

Enfin, pour les critiques du rôle des banques dans les crises financières : là, il y a un vrai sujet qui peut être adressé au niveau des banques (et qui l’a un peu été après 2008, mais pas assez). Par contre, et ce n’est pas toujours très bien compris, le problème n’est pas le rôle des banques dans la formation de bulles spéculatives ou le déclenchement de crises financières. À ce titre, elles reflètent le fonctionnement de tous les acteurs de l’économie (et là, c’est aux autorités de régulation de fixer des règles plus sécuritaires comme des ratios de fonds propres renforcés). Le problème principal étant que les critiques post 2008 ont été adressées par des acteurs de la société civile qui ont porté un message contre l’institution. Et du coup sans en comprendre les rôles presque impossibles à remplacer. Là où une remise en cause du fonctionnement managérial de ces structures aurait été bien plus efficace. Notamment en termes de rémunération. Certains changements sont apparus depuis (différé de bonus dans le temps, …) mais ils restent, je pense, trop anecdotiques et surtout ne dissuaderont pas des salariés, quel que soit leur niveau hiérarchique, de chercher à maximiser le gain de la banque (ainsi que le leur) quand tout va bien. D’ailleurs, le problème ne concerne pas que les banques. Mais quand ils ont lieu dans les banques, c’est très problématique car la faillite d’une banque n’a pas les mêmes implications que la faillite de n’importe quel autre organisme. Je pense qu’il manque clairement d’encadrement et de tutelle publique dans le fonctionnement des banques. Mais quand on voit le niveau de bureaucratie, d’obligations et de régulations dans ces structures monolithiques (qui expliquent d’ailleurs une partie des critiques vues plus haut), en rajouter serait-il la solution ? ou mieux le faire ? Avec quels critères ? Beaucoup de questions, mais peu de réponses. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas permettre de privatiser les gains dans les périodes fastes, et de risquer de mutualiser les pertes lorsque le cycle s’inverse. Mais également, que l’on ne peut pas vraiment se passer d’acteurs de grande taille pour centraliser, sécuriser et allouer les flux d’argent.

 

 

En conclusion

 

Les banques sont des boucs émissaires économiques et sociétaux bien utiles. Loin d’être exemptes de tout reproche, les critiques qui sont faites peuvent (et doivent) être constructive pour faire évoluer ces institutions.

 

Malheureusement, le climat ambiant engendré par les critiques systématiques tend à provoquer un rejet de ces institutions et non une compréhension de leur rôle ainsi que de leur fonctionnement.

 

Compte tenu de leur place particulière à la frontière entre entreprise traditionnelle et administration étatique, comprendre la place des banques dans notre société, c’est également comprendre comment fonctionne notre société sous l’angle économique.

 

Je pense qu’il est plus important que jamais, à l’aune des défis gigantesques auxquels nos sociétés sont confrontées (dont la décarbonation de nos économies, la stabilité financière, …), de bien comprendre quel rôle y jouent les banques. Sans cela, nous risquons fort de nous éloigner de solutions viables, en pointant du doigt un symptôme des problèmes et non les causes.

 

C’est-à-dire ne pas remettre en question collectivement nos modes de vie, dont les banques en sont le reflet financier. Car c’est aussi le rôle d’un bouc émissaire que de focaliser l’attention sur un acteur au lieu de s’attaquer au problème de manière plus globale. Une manière de se donner bonne conscience sans vraiment changer les choses.

 

Prenons garde à ça et comprenons les institutions qui façonnent nos sociétés afin de pouvoir accompagner au mieux les changements nécessaires.

 

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