SCPI : Mutualisation et liquidité, une équation à double tranchant
Constats
Certaines SCPI, parmi les plus anciennes et les plus capitalisées du marché, présentent une très faible collecte et une forte demande de retraits de parts. A tel point que le risque de liquidité se matérialise pleinement, la revente pouvant s’estimer à plusieurs dizaines d’années à ce rythme.
Si pendant quelques années (celles où les SPCI, parmi d’autres solutions d’investissement, étaient particulièrement en vogue : la collecte des SCPI a été multipliée par 2 entre 2018 et 2019, puis est restée stables les années qui suivirent, et sont désormais revenues à leur niveau pré-2018) la liquidité n’a pas semblé être un sujet pour les SCPI, ce n’est désormais plus le cas.
Pour rappel, la SCPI permet d’investir en immobilier (souvent d’entreprise) de manière mutualisée et diversifiée. Et ce de manière simple, à partir que quelques centaines ou milliers d’euros. Si le véhicule d’investissement est simple, le sous-jacent immobilier reste ce qu’il est, avec ces cycles. Surtout, le temps des transactions immobilières n’est pas le même que celui du marché des parts de SCPI.
Mais ça, lorsque la collecte est soutenue, on ne s’en rend pas compte. Car les quelques investisseurs qui souhaitent revendre leurs parts sont immédiatement « remplacés » par les nouveaux associés qui eux souhaitent investir en SCPI. Et l’on oublie que derrière ces bouts de papier que sont les parts et qui procurent un rendement, il y a des porteurs de parts et des biens immobiliers qui sont soumis à des cycles et une temporalité différente.
Ajoutez à cela que les assureurs se sont intéressés à la même période aux SCPI et ont, pour certains, acheté de grandes quantités de parts de SCPI pour permettre à leurs investisseurs en assurance vie d’y avoir accès. L’assurance vie étant un support de placement relativement liquide (on peut récupérer ses fonds sous quelques jours ou semaines), on a une fois encore fait diverger la temporalité réelle des investissements immobiliers avec celle de son véhicule et de son support.
Sauf qu’à la suite de la hausse des taux d’intérêts, la prime de risque de l’investissement immobilier a fondu, et à rendement égal, il n’est plus aussi intéressant qu’avant d’y investir. Seule solution pour reconstituer la prime de risque : que les prix de l’immobilier baissent. C’est d’ailleurs presque toujours de cette manière que se muent les cycles immobiliers. Si cette baisse n’est pas encore bien perceptible pour l’immobilier résidentiel (largement détenus par des particuliers qui ne sont pas « pressés » de vendre, notamment à perte), elle l’est pour l’immobilier d’entreprise.
Conséquence directe, un certain nombre de SCPI ont diminué leur prix de parts. Ce qui ne change rien au rendement perçu par les investisseurs par ailleurs. Mais étant donné qu’un grand nombre d’entre eux sont rentrés peu de temps avant, lorsque le cycle était « haut », ils sont en moins-value. C’est-à-dire que s’ils revendaient leurs parts, ils perdraient 5 à 20% du montant investi.
Les annonces de baisse de prix de parts ont engendré, de manière quasi systématique, une (très) forte hausse du nombre de demandes de retrait de parts (revente). Bien plus élevée que la collecte, ce d’autant plus que le signal d’une baisse de prix de parts est plus perçu comme un danger pour un investisseur potentiel que comme une opportunité d’acheter de l’immobilier moins cher qu’il n’aurait pu le faire un an auparavant. Ajoutez à cela des assureurs qui pour certains sont sortis « en bloc » de certaines SCPI et vous avez un marché des parts de ces SCPI complètement sclérosé, qui ne permettrait à certains vendeurs de ne sortir que dans quelques années (voir plus) au rythme actuel de collecte.
C’est-à-dire qu’on est passé d’une situation où les parts de SCPI permettaient de ne plus se rendre compte du risque de liquidité inhérent à l’immobilier, à une situation où la liquidité des parts de SCPI est encore moindre qu’un bien immobilier détenu directement.
Ce d’autant plus que le mécanisme même des parts de SCPI (qui contraint le gérant à adapter le prix des parts en fonction de l’évolution de la valeur de son parc immobilier) est procyclique et ne permet pas facilement un échange libre de parts « de gré à gré » où le vendeur pourrait accepter une plus grande décote sur le prix de sa part que le prix fixé par la société de gestion.
Donc nous avons aujourd’hui, sur un certain nombre de SCPI ayant diminué leur prix de parts, un réel problème de liquidité.
Ce qui amène plusieurs réflexions et constats au sujet de la liquidité des ces solutions de placement, en lien avec leur niveau de mutualisation (ou de capitalisation).
Enseignements
A. La forte mutualisation et diversification limitent le risque de défaut mais semblent augmenter celui de liquidité
Il est courant de présenter les SCPI les plus capitalisées comme plus sûres et stables. Avec comme principal message le fait que lorsque vous avez plusieurs milliards d’euros investis, des centaines de locataires et autant d’implantation géographiques ou sectorielles différentes, si un locataire ou même un secteur souffre, l’impact sur le rendement ou la valorisation de la SCPI sera faible. C’est tout à fait exact, mais cela ne concerne que le risque de défaut.
Pour le risque de liquidité, la pratique semble nous montrer qu’il n’en est pas de même. Une SCPI plus capitalisée dispose de plus d’actionnaires. Or, lorsqu’un problème survient (baisse de prix de part par exemple), une proportion non négligeable des associés va vouloir sortir. Et sortir 20% de la capitalisation d’un véhicule de 100m€ signifie trouver 20m€ de collecte. Si le véhicule capitalise 5 milliards, c’est 1 milliard d’euros qu’il faut trouver. Surtout s’il s’avère que cette capitalisation s’est construite sur le temps long, il n’y a pas de raison objective de penser que la collecte puisse absorber facilement une telle quantité de parts.
Sans même parler de l’aspect psychologique des investisseurs. Car un grand véhicule qui se retrouve dans cette situation, c’est nécessairement un écho médiatique néfaste, ce qui limite encore le potentiel attractif de la SPCI et donc la collecte qui absorbe les parts en attente de revente. Donc une plus grande mutualisation agit comme un accélérateur de tendance dans cette situation.
B. Collecte et demandes de retraits sont inversement corrélées (le nombre de demandes de revente augmente en même temps que la collecte diminue)
C’est un constat que l’on peut faire actuellement. Sur lequel certaines sociétés de gestion gérant des SCPI surfent abondement (« On gère mieux que les autres, regardez, on n’a pas baissé notre prix de part »).
Là, c’est l’aspect psychologique qui est en jeu. Une SCPI qui a une quantité importante de parts en attente de retrait, ça fait peur. Et à raison. Car si au moment où j’investis, j’ai le choix entre une SCPI que je peux revendre en quelques semaines si besoin, et une où je sais que j’aurais au minimum à attendre 5 ans, le choix sera probablement vite fait. Et ce, quand bien même j’envisage mon investissement comme n’importe quel autre investissement immobilier, c’est-à-dire à long voir très long terme.
Le seul avantage que j’ai à acheter la SCPI qui dispose de parts en attente de retrait dans cette situation est la décote liée à sa baisse de prix de parts antérieure. Mais encore faut-il que cette décote soit intéressante, soit vis-à-vis du rendement (ce qui n’est pas vraiment le cas compte tenu des profils de SCPI concernées, assez anciennes et ne faisant pas partie des plus rentables), soit vis-à-vis du prix du parc immobilier (mais encore une fois, cet avantage est limité par l’encadrement réglementaire du prix des parts de SCPI).
C. Le problème de liquidité semble relativement indépendant de la qualité intrinsèque du produit
Ce n’est pas tant la qualité de la SCPI que l’annonce d’une baisse de prix de parts qui explique le problème. Vous me direz, c’est assez trivial : pour quelqu’un qui ne connait pas toutes les subtilités du fonctionnement des SCPI (et même quand on les connait !), une baisse du prix de part est signe d’une moindre qualité, probablement avant tout autre critère. Il est donc logique de voir les solutions de placement concernées par ces baisses de prix de part plus impactées que les autres.
Vraiment ? Vous allez voir que ce n’est pas si simple …
L’exemple ci-après est tiré d’une société de gestion réelle (en vrai, elle gère plus de deux SCPI, mais c’est plus simple à modéliser avec deux).
Prenez une société de gestion qui gère deux SCPI et qui a procédé à une baisse de prix de parts sur l’une mais pas sur l’autre. La première est de « meilleure qualité » (procure un meilleur rendement, dispose d’un meilleur taux d’occupation, …) que la seconde. Eh bien, c’est tout de même la première qui rencontre des problèmes de liquidité et non la seconde.
C’est-à-dire que la « crise » de liquidité ne concerne que les véhicules qui ont annoncé la baisse de prix de parts et non le gérant dans sa globalité. Je trouve ce point-là particulièrement intéressant. Car en tant qu’investisseur, si je détiens des parts dans les deux SCPI, il serait plus logique, suite à l’annonce de la baisse du prix de part de la première, que je souhaite vendre la seconde dont le prix de part est stable et le rendement moindre. Voire même que je ne souhaite pas vendre immédiatement les parts de la première pour ne pas encaisser de moins-value.
Alors oui, en pratique, peu d’investisseurs, dans cette situation hypothétique, ne détiennent des parts dans les deux solutions de placement. Mais le même raisonnement peut s’appliquer aux seuls détenteurs de la seconde SCPI. Et ce n’est pas ce que l’on observe en pratique. Les autres véhicules gérés par la société de gestion n’ont pas de problème de liquidité, quand bien même tout pousserait les investisseurs, théoriquement, à en sortir. L’effet « baisse de prix de part » ne concerne que le véhicule qui subit la baisse du prix de parts et non les autres véhicules gérés par la société de gestion.
Difficile d’expliquer cela. Manque de connaissances des investisseurs, réactions « à chaud » liées aux annonces sans aller chercher plus loin, … impossible d’avoir des certitudes. L’explication la plus plausible réside sans doute dans les investisseurs institutionnels tels que les assureurs qui sont entrés dernièrement au capital de SCPI pour permettre à leurs assurés d’y souscrire via des contrats d’assurance vie.
Car ils ont abondamment fléché les flux vers quelques produits, et ne réfléchissent pas en termes de qualité de la solution dans laquelle ils ont investi (et encore moins à long terme). Non, ils réfléchissent en termes de liquidité des placements qu’ils ont proposé. Et si la liquidité n’était peut-être pas un problème avant qu’eux ne décident de sortir, ils font aussi face à leurs investisseurs qui eux demandent à arbitrer leurs positions. Or, en tant qu’assureur, il est plus difficile de « geler » les rachats ou les arbitrages en attendant que des hypothétiques acquéreurs arrivent, comme une société de gestion peut le faire plus aisément. Et la conséquence est que l’assureur rachète les parts de leurs assurés, donc assume la liquidité dont la SCPI ne jouit plus. Sauf que l’assureur a besoin de liquidités pour son activité. Et il met donc en vente l’intégralité du bloc acquis pour régler le problème. Aggravant de fait la liquidité de la SCPI. Un cercle vicieux se met en place.
Et bien que le rôle de chaque acteur ne soit pas totalement clair, il est certain que le fait de proposer des produits d’investissement potentiellement illiquides au sein de supports de placements liquides comme les assurances vie n’a pas été une bonne idée. Pas du tout même. Que ce soit dans la typologie et la perception des investisseurs acquis par ce biais ou les contraintes des assureurs qui les amènent peut-être à surréagir.
D. La forte mutualisation affecte également le rendement
Ce constat n’est pas propre à la situation actuelle et est plus général sur tout type de véhicule d’investissement. Plus un véhicule est capitalisé, plus il est diversifié, plus il est couteux de suivre le portefeuille et éventuellement de l’optimiser. Donc moins il est rentable en comparaison de véhicules de taille plus modeste.
Vous pouvez observer cette corrélation sur de nombreuses SCPI. Surtout à mesure que leur taille s’accroit. Il est très (très) rare qu’une SCPI se mette à devenir plus rentable lorsqu’elle atteint le milliard d’euros de capitalisation. C’est généralement l’inverse qui se produit. Dans le meilleur des cas, elle arrive à conserver son rendement antérieur pendant un temps.
Les raisons expliquant ce phénomène sont diverses : lorsque l’on a plus d’argent à investir, on ne peut plus être autant sélectif qu’avant et on dégrade les critères d’investissement. On se met à cibler des actifs de plus grande taille pour lesquels la rentabilité intrinsèque est généralement moindre. On dépense plus pour le suivi des participations et/ou on peut moins les optimiser. Quoi qu’il en soit, il semble bien qu’une forte mutualisation engendre un moindre rendement.
Donc potentiellement, plus une SCPI collecte, moins elle est rentable, moins il y a d’acheteur et plus il y a de vendeur. Un cercle vicieux.
Et on pourrait résumer le problème de la manière suivante :
Plus de mutualisation = plus de diversification =
Moins de risque de défaut / moins de rendement / plus de risque de liquidité
Conclusion
La crise que traverse l’immobilier n’est pas terminée. Les conséquences de cette crise sur les SCPI (en tout cas certaines) ne font probablement que démarrer. Pour autant, il n’est pas trop tôt pour en tirer les premiers enseignements.
Notamment s’agissant du rapport mutualisation/capitalisation et liquidité. Car il n’y a que lors d’un épisode tel que celui que nous vivons aujourd’hui que ce lien apparait. D’un point de vue théorique, une plus forte capitalisation et un plus grand nombre d’actionnaires devrait au contraire favoriser la liquidité. Mais ça, c’est si ce grand nombre d’actionnaires a des positions diverses (achat / revente) vis-à-vis de la SCPI.
Or, dans la réalité, il semblerait que les réactions des actionnaires ou actionnaires potentiels ne soient pas si diverses que cela. Lorsque le cycle est porteur, pas de problème. Dès que le cycle se retourne par contre, la forte capitalisation et le grand nombre d’actionnaires devient un handicap pour la liquidité compte tenu des réactions homogènes des actionnaires.
Et par conséquent, cela nous amène à des questions sur le fonctionnement même des SCPI, notamment :
- Le mécanisme des prix de parts pro-cyclique. Il serait compliqué de le penser autrement, mais le fait que le prix de la part soit tenu dans un tunnel de +10 % / -10% autour du prix du parc immobilier accentue l’impact des cycles. S’il est normal que le prix de la part reflète un minimum la valeur du patrimoine immobilier qui se cache derrière (encore que les foncières cotées présente très régulièrement une valorisation inférieure à la valeur de leurs actifs nets), les sociétés de gestion ont effectué de (très) nombreuses revalorisations de prix de parts en deçà de la limite réglementaire quand le contexte était porteur. Ce afin de contenter les actionnaires et surtout d’en attirer de nouveaux. Le signal était positif. Sauf que quand vous montez le prix de la part de 2% en année N pour la baisser de 15% en N+1, l’image que cela véhicule n’est pas très sérieuse …
- Un marché secondaire sclérosé : C’est un peu en lien avec la semi-rigidité du prix de la part. Il y aurait probablement aujourd’hui des vendeurs bloqués qui accepteraient un prix inférieur à celui fixé par la société de gestion pour vendre ses parts. Mais c’est compliqué (pour ne pas dire impossible), étant donné qu’il faut procéder de gré à gré. La réglementation n’impose pas de marché secondaire pour les SCPI à capital variable. Ce qui veut dire que bien qu’il y ait des parts en attente de retrait, seules les nouvelles souscriptions sont admises pour les combler. Et pour trouver un acquéreur, personne n’a d’intérêt à effectuer la mise en relation. Ni la société de gestion (pour diverses raisons), ni les intermédiaires du patrimoine (qui ne seront pas rémunérés par la société de gestion). Conséquence, le prix de part ne peut pas s’ajuster par l’offre et la demande et la liquidité est encore moindre.
- Enfin, tout ceci peut nous amener à penser que le cercle vicieux de la taille des SCPI serait évitable en fermant la collecte à un niveau « optimal » de capitalisation, qui apparait souvent dans les statuts mais est systématiquement repoussé par les sociétés de gestion quand la SCPI a du succès. Si rien n’est organisé réglementairement parlant, on peut tout de même en tirer des conclusions s’agissant de sa stratégie d’investissement en SCPI, en allant sur de jeunes SCPI à la mode, puis en revendant avant qu’elles ne soient trop capitalisées. Cela va à l’inverse de l’esprit de l’investissement immobilier et par extension en SCPI, mais les règles régissant le fonctionnement de ces solutions de placement ne permettent pas, à ce jour, de disposer du même degré de liberté sur son investissement qu’avec un investissement immobilier en direct. Surtout lorsque le cycle se retourne.
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