Solobusiness, side-business : des privilèges de riches !

Par François GALVIN  •   Publié le mercredi 12 juin 2024
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Le Solobusiness, side business, … les concepts tout droits venus des USA ont le vent en poupe !

 

Enfin, à en croire les innombrables créateurs de contenu qui en parlent (et souvent, le pratique). A tel point que ça ressemblerait presque à un graal que nos sociétés ultramodernes permettent d’accéder. Jamais dans notre histoire nous avons pu créer notre propre emploi avec tant de facilité. Internet pour se créer une vitrine, les réseaux sociaux pour communiquer, … il semblerait donc qu’il soit plus facile que jamais de se passer d’un patron et ce, sans même créer une entreprise grâce au statut de freelance.

 

C’est sûr que ne plus avoir de patron, ça fait rêver !

 

D’autant plus que lorsque l’on lit les promoteurs du solobusiness et autres side business, on gagnerait beaucoup plus d’argent de cette manière.

 

Et on pourrait donc atteindre la sacro-sainte liberté financière…

 

Que de messages qui font rêver, et qui par conséquent sont également beaucoup mis en avant par les algorithmes des réseaux sociaux ou ceux des moteurs de recherche / navigateurs.

 

Mais comme tout ce qui est très « marketé », on est en droit de se poser la question : qu’en est-il réellement ?

 

Et plus encore, qu’est ce que cela nous dit de notre rapport au travail et à la société ?

 

C’est ce que nous allons explorer dans cet article.

 

 

La réalité derrière les paillettes 

 

Déjà, commençons par une réalité qui permet de mieux comprendre le phénomène. De nombreux solobusiness « à succès » (ou se présentant comme tels) proposent des services de formation à des indépendants, freelance ou chefs d’entreprise pour … mieux gérer leur solobusiness ou leur entreprise.

 

C’est-à-dire qu’ils sont d’autant plus intéressés pour en parler (et de leurs prétendus succès) que c’est de cette manière qu’ils acquièrent de nouveaux clients. D’où, probablement, une ampleur bien moindre du phénomène en réalité que ce qu’il pourrait y paraitre au moins sur des réseaux sociaux comme linkedIn. D’autant plus que fonder un business pour former d’autres gens à exercer plus ou moins la même profession (en solo bien sûr), ça fait mécaniquement enfler le nombre de personnes qui ont besoin de communiquer sur ce sujet. Une inflation qui n’a par ailleurs de limite que la visibilité que l’algorithme des réseaux sociaux leur donnera.

 

C’est là qu’entre souvent en scène une autre spécificité de ces solobusiness formateurs d’autres qui peut-être en formeront également d’autres … Ils s’organisent sous forme de groupe afin de pousser leur contenu mutuel. En gros, cela revient à hacker les algorithmes des réseaux sociaux en faisant croire que le contenu publié intéresse de nombreuses personnes. Alors que ce sont les mêmes personnes et qu’elles font monter leur mayonnaise ensemble … sans jamais qu’elle ne soit réellement goutée 😉

 

Ce facteur explique également en grande partie la visibilité de ces personnes ainsi que du phénomène. C’est une forme de pyramide de Ponzi de l’activité de formation entretenue par une communication corporatiste qui a très bien compris le fonctionnement des algorithmes. Dont la visibilité est probablement inversement proportionnelle à la réalité de leur activité. Donc le phénomène est très probablement bien moindre qu’il n’y parait.

 

Alors bien entendu, ces formations ne sont pas reconnues par l’état, pas finançables par le CPF et malgré tout, sont souvent vendues plus chères que des formations dont le professionnalisme est reconnu.

 

En dehors de ce cadre de la formation, les solobusiness sont les métiers freelances traditionnels, du rédacteur au graphiste, en passant par le traducteur et d’innombrables autres fonctions que les entreprises préfèrent souvent sous-traiter que d’internaliser. Ces métiers s’exercent d’ailleurs tout aussi bien en side business, étape qui permet d’essayer cette voie de l’indépendance sans pour autant perdre la sécurité su salariat dans un premier temps.

 

Mais ceux-là, vous les verrez normalement beaucoup moins, et surtout simplement de leur métier, de leurs réalisations, … .

 

Dans tous les cas, ce qui va les caractériser, c’est le fait de travailler seul et sous le statut de la micro-entreprise (au moins au début). Et là, excepté le fait que les obligations juridiques sont un peu moindres que pour un statut de société traditionnelle, la réalité elle, va être la même.

 

C’est-à-dire qu’il faut trouver ses clients. En général d’ailleurs, quand on fait le choix de l’indépendance, on sait déjà que l’on va travailler avec certains anciens clients, sinon le choix de quitter le salariat est difficile et dangereux. D’où l’étape intermédiaire du side business avant de sauter le pas. C’est probablement ça qui est le plus complexe dans l’entrepreneuriat. Car tout ne dépend pas de la compétence ou même d’un tarif imbattable. Non, aujourd’hui (et encore plus qu’hier), c’est la visibilité qui est difficile à obtenir (d’où les groupes évoqués plus haut …). Visibilité qui est censée apporter prospects et clients …

 

Ensuite, si on a la chance d’avoir des clients, il faut trouver le bon équilibre de temps et de facturation. Afin de pouvoir en vivre, et garder un peu de temps libre aussi. Sans cela, le salariat est quand même plus avantageux. Cet angle mort est encore plus présent pour les side-business, puisque c’est du temps libre (de loisir) qui est dévolu à l’activité. Et le temps passé pour la rémunération supplémentaire n’est presque jamais comparé au salaire horaire du salariat. Ce qu’il faudrait, c’est comparer le temps travaillé à la rémunération. Pas sûr que ce soit souvent très intéressant de ce point de vue là. Ce qui fait que le side business est souvent la conséquence de passions pour lesquelles on prend du plaisir à dépenser notre précieux temps. C’est encore dans cette configuration qu’il me semble le plus envisageable et le moins déceptif.

 

Il ne faut pas non plus avoir peur de l’administratif, de la facturation, la comptabilité et tout un tas d’autres fonctions support qui sont habituellement prises en charge par des tiers quand on est en entreprises.

 

Et puis il ne faut pas penser que la rémunération que l’on touche pour notre travail sera notre salaire. Il faut provisionner les charges, … . Bref, ce qui est très brillant se ternit un peu à l’usage.

 

Enfin, si l’on compare cette fois-ci le solopreneuriat à l’entrepreneuriat traditionnel, il n’y a généralement pas de possibilité de cession de l’entreprise à terme. On devient son propre patron, mais cela n’a pour seul objectif que de se rémunérer. Pas de vendre son « concept » à un moment, puisqu’il ne sera le reflet que de sa personne et de ses qualités professionnelles. Donc pas de « jackpot » potentiel en dehors de la rémunération. D’ailleurs, les formateurs en la matière en jouent : ils vendent des revenus mensuels à x milliers d’euros, pas des exit à 10 m€ !

 

Voilà pour le tableau un peu critique de ces nouvelles formes d’entrepreneuriat et de ceux qui les promeuvent. Maintenant, replaçons cette mouvance dans le temps et l’espace.

 

 

Autres époques, autres lieux

 

À force d’être exposé à des contenus parlant de solopreneuriat et de side business, je me suis fait une réflexion : dans d’autres sociétés ou ici à d’autres époques, c’est ceux qui ne trouvaient pas d’emploi qui offraient leurs compétences aux plus offrants. Pour des conditions de travail et de rémunération bien pire que celles que le salariat offrait (bien qu’elles n’étaient pas non plus brillantes).

 

Si l’on remonte encore le temps, historiquement, de nombreux solopreneur – que l’on appelait souvent agriculteurs à l’époque – quittaient ce statut dès qu’un emploi d’ouvrier était à pouvoir dans leur région. Ou allaient même plus loin en quittant la compagne et le « solopreneuriat vivrier » pour la ville. Ce fut l’exode rural.

 

Dans d’autres pays du globe, moins développés économiquement, on en est encore là. Et le solopreneuriat n’est que la conséquence d’une absence d’activité économique dans le lieu de vie de nombreuses personnes. Le side-business, un moyen de joindre les deux bouts. Et à chaque fois que je vois les ce type de business mis en avant, je ne peux m’empêcher de penser à tous ceux qui le pratiquent par obligation et non par choix.

 

Encore aujourd’hui, chez nous, dans certaines régions à faible attrait économique mais forte activité touristique, c’est comme cela que ça se passe. Mais point de solo-business ou side business. Juste des activités saisonnières. Si vous êtes résident d’un village de montagne disposant d’une station de ski, il y a fort à parier que vous pratiquiez le solopreneuriat ou le side business. Pas pour devenir riche, juste pour vous adapter à la saisonnalité de l’activité économique. Si l’activité économique se développait dans ces villages et les opportunités d’emplois rémunérés avec, il y aurait fort à parier que de nombreuses personnes sédentariseraient leur activité avec un poste salarié à l’année.

 

Ce qui nous amène à une évolution sociétale permettant l’essor du side business et solobusiness perçu comme le graal : l’augmentation du temps de loisir. Que l’on peut suivre avec l’abaissement presque continuel du temps de travail. Cet acquis social est une très bonne chose dans l’absolu.

 

Mais il ne faut pas oublier d’où l’on vient et comment cela se passe ailleurs. C’est-à-dire que si la richesse globalement partagée dans notre pays n’avait pas autant augmenté, le temps de travail n’aurait pas pu diminuer. Et ce précieux temps qui était auparavant dédié aux loisirs redevient un temps productif.

 

Doit-on en déduire que nous disposons de tellement de temps libre que nous ne savons plus comment l’occuper ? C’est une interprétation possible. Ou que l’on souhaite l’occuper pour ne plus avoir de contrainte salariale donc encore plus de temps libre ? Ce serait le serpent qui se mord la queue, mais nous ne sommes plus à une contradiction près.

 

Quoi qu’il en soit, je pense que Karl Marx aurait beaucoup de choses à dire de cette tendance, tout droit inscrite dans la marchandisation des relations de travail. Et je pense également qu’il n’aurait jamais imaginé cela possible, surtout venant de salariés ou ex-salariés. Ce d’autant plus que ce mouvement s’inscrit dans une forme de volonté d’émancipation du salariat, et donc une forme de lutte sociale. Mais cette fois-ci inversée puisqu’amenée par les salariés eux-mêmes !

 

Ce qui nous amène à une analyse plus sociétale du phénomène

 

 

Une société à la recherche de sens

 

Un point commun issu de récentes recherches pourrait nous permettre de mieux expliquer ce phénomène et ses contradictions. Ce sont les sciences cognitives qui ont mis en lumière notre quête systématique de sens. Dans les sociétés vues au-dessus, c’est souvent la religion ou la cellule familiale qui officie en la matière.

 

Mais dans nos sociétés économiquement développées, la pratique de la religion et la foi n’a jamais été aussi faible. Or, la religion, comble parfaitement la quête de sens en proposant une réponse aux innombrables « pourquoi » qui taraudent l’humanité depuis toujours. 

 

Et ce vide, le cerveau humain cherche à le combler. 

 

En l’occurrence, les solo et side business ne viennent pas apporter du sens à tout, mais par contre, ils offrent une alternative à ceux qui n’en trouvent pas dans leur travail salarié. En effet, nous passons une très grande partie de notre temps au travail. Logique d’y chercher plus qu’un simple moyen de subsistance. 

 

Souvent, ce que j’observe, c’est que le travail indépendant n’a pas beaucoup plus de sens que le travail salarié. Mais s’investir dans un projet personnel peut remplir ce vide de sens lié à un travail abstrait dans une grande entreprise. En gros, rendre plus concret ce pourquoi (et pour qui) on travaille.

 

Je remarque avec intérêt ceux qui exercent dans mon domaine de compétences : la gestion de patrimoine. C’est en effet une très bonne cible pour solo / side-business. Même sans formation initiale, il n’est pas très long ni très couteux d’obtenir l’agrément permettant d’exercer. Cela ne requiert pas non plus un grand bagage de connaissances. Et le profil type de ces personnes, c’est une formation d’ingénieur et quelques expériences dans ce domaine au sein de grandes entreprises.

 

Et le fait de passer à la gestion de patrimoine semble leur apporter ce sens qu’ils n’avaient pas en tant qu’ingénieur salarié. Cela me questionne. 

 

Que ce soit pour avoir plus de rapports humains, plus de rémunération, un temps de travail plus flexible, ça je peux l’entendre. Mais plus de sens … j’avoue que je ne comprends pas. Peut-être que leurs missions étaient trop abstraites ? Mais distribuer des produits financiers et analyser des patrimoines, le besoin est certes plus concret mais l’utilité sociétale ne me semble pas si importante. Surtout que les métiers de la gestion de patrimoine sont des métiers commerciaux.

 

Comme quoi, dans cette perpétuelle quête de sens, les réalités que cela peut recouvrir sont très larges. Et peut-être que l’on perçoit toujours l’herbe du voisin comme plus verte …

 

Du coup, qu’est-ce que le sens au travail ?

 

Si pour certains cela signifie participer à une cause plus grande qu’eux (environnement, associatif, …), pour d’autres, cela semble vouloir signifier plus simplement savoir pourquoi on se lève le matin. Et ça ne nécessite nullement un travail par nature riche de sens (dans l’absolu), mais juste le fait de travailler pour soi, au contact d’autres êtres humains.

 

Et je pense que la diversité de sens que revêt le travail ainsi la recherche de ce sens perdu, amènent également de nombreuses personnes à choisir le travail indépendant sous ses formes les plus simples : le solo / side business. 

 

 

En conclusion : le travail entre évolution et régression

 

On pourrait croire dans nos sociétés « modernes », que le solobusiness est une innovation. En réalité, c’est une « régression ». Ou plutôt, c’est la réplique d’une pratique courante dans des sociétés qui ne dispose pas du même niveau de développement que nous. La différence – fondamentale – réside dans le fait que dans ces pays, ce n’est pas un choix mais une contrainte. Alors que chez nous, c’est le luxe ultime que de pouvoir disposer d’un niveau de vie équivalent au salariat sans avoir de « patron ».

 

Pour autant, nous disposons aujourd’hui des technologies et de la structure d’un marché du travail qui facilitent de fait d’entreprendre seul, parfois même en parallèle de son métier. En ce sens, c’est une évolution. Mais attention à ne pas perdre de vue les angles morts : les acquis sociaux et économiques qui nous permettent de disposer d’une grande quantité de temps libre. Et de bien s’interroger sur l’usage que l’on souhaite faire de ce temps.

 

Car si nos choix professionnels sont aujourd’hui plus guidés par la quête de sens que cela pouvait être par le passé, encore faut-il clarifier ce que l’on entend par « sens ». En effet, si l’idée est de savoir pourquoi on se lève le matin étant donné que l’on est son propre patron, encore faut-il que le temps libre que cette nouvelle vocation nous confère soit suffisant (notamment en comparaison de la rémunération d’un travail salarié antérieur). Et que l’on ne se retrouve pas enfermé dans un schéma qui nous semble rempli de sens alors qu’il s’avérerait finalement assez creux, et que l’on y perde au passage quelques précieuses années de vie.

 

 

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