Nous et le temps : de Toutankhamon à Highlander

Par François GALVIN  •   Publié le mercredi 25 septembre 2024
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Vaste sujet qu’est le temps et notre rapport à lui.

 

Mais de quel temps parle-t-on ? Notre temps de vie déjà. 

 

Premier problème : Ce temps, en théorie long, est déjà est teinté d’incertitude. 

 

Second problème, même incertain, le temps qui nous est imparti est long, trop long pour que nous puissions nous l’approprier psychologiquement de manière adéquate. En cause, le fonctionnement de notre cerveau, « codé » pour agir dans l’urgence plus que pour planifier à long terme. 

 

Nos structures sociétales modernes aident à mieux appréhender ce temps, grâce à des statistiques de longévité, une vision « macro » du temps dont nous pouvons espérer disposer.

 

Mais c’est également le temps de nos projets (qui eux-mêmes sont dépendants de notre temps de vie). Ici, nous pensons le temps en sous-segments de notre temps total imparti. Ce qui est déjà plus aisé à anticiper mentalement. Qu’il s’agisse de préparer sa retraite, les études de ses enfants, acquérir sa résidence principale ou même un voyage à l’autre bout de la terre. C’est le temps de l’investissement …

 

Investir, c’est se positionner, se projeter (de manière optimiste), par rapport au temps. 

 

Ici encore, les structures sociétales participent à une meilleure appréhension de temps des projets. Que ce soit au travers de structures formelles (système de retraites, d’éducation supérieure) ou sociales (entourage et attentes dictent souvent nos projets de vie).

 

On peut également avoir une ambition d’immortalité, ce qui reste une autre manière de se définir au travers du temps et de sa finitude. Pour briser les règles naturelles qui régissent nos vies. Mais point d’Highlander ici-bas … et faire en sorte que sa mémoire, ses œuvres ou son nom survivent à plusieurs temporalités humaines est un privilège réservé à une poignée d’élus au travers des âges. Et comme nous le verrons plus loin, qui même en y investissant d’énormes ressources, n’a rien d’acquis.

 

Étrangement, il y a un rapport au temps que nous éludons, auquel nous n’apportons aucune espèce d’importance. Alors que c’est peut-être celui là qui l’est le plus : le temps qui passe. En effet, il n’est pas de bon ton de s’ennuyer, de laisser filer le temps, de rêvasser. Dans nos sociétés modernes productivistes, cela est perçu comme une perte de cette précieuse matière première. Le « privilège » de ceux qui ne réussissent pas leur vie. Alors même que de plus en plus de problèmes de santé publique semblent liés au fait de cette absence de conscience du temps qui passe (manque d’ennui chez les enfants, trop de stress chez les adultes, …).

 

Pourtant, quel est l’objectif d’une vie humaine ? Ne serait-ce pas la quête du bonheur ? Si tel est bien le cas, il semble que nous soyons plus à même de le trouver dans ce temps qui passe que dans l’atteinte de quelconques objectifs. 

 

Ici se loge une particularité de notre rapport au temps et au bonheur, mis en exergue par un célèbre psychologue, Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie : nous visualisons différemment le temps quand nous l’expérimentons et quand nous nous en rappelons. Et il apparait de grandes différences entre le bonheur expérimenté (évalué au fil du temps qui passe) du bonheur mémoriel (évalué a posteriori d’évènements).

 

Le bonheur expérimenté est assez stable - et plutôt bon - dans le temps et l’espace (malgré des conditions de vie très différentes). Le bonheur mémoriel, lui, est très variable et se focalise un échantillon très faible de moments ("les pics et les fins" de séquences mémorielles, qui sont utilisées dans le marketing pour optimiser l'expérience client par exemple). 

Pourtant, c’est ce dernier “bonheur” que l’on invoque le plus souvent, notamment par projection lorsque nous envisageons un projet …

 

Tout se passe comme si nous appréhendions le temps de manière arrêtée, alors même qu’il s’agit d’un fil continu. Autrement dit, lorsque nous planifions notre avenir ou que nous regardons notre passé, le fil du temps nous apparaît comme une succession de phases arrêtées. Peut-être est-ce dû au fait que l’on soit conscient que notre temps s’arrêtera ? Peut-être qu’Highlander verrait les choses différemment ? Peut-être est-ce simplement dû au fait que notre cerveau n’est pas fait pour appréhender des phénomènes dynamiques tels que le temps qui passe et lui préfère sa version statique, plus simple utiliser ?

 

Toujours est-il que dans ce rapport particulier au temps qui nous définit toujours par sa finitude, nous prenons quotidiennement des décisions et engageons des actions dont la finalité est décalée dans le temps.

 

Le cours de nos vies est donc mu par ce rapport au temps et de bien des manières.

 

 

Le temps et la prise de décision (a priori)

 

Je ne vais traiter ici que des décisions individuelles. Considérant le fait que nos décisions collectives sont un agrégat de décisions individuelles.

 

Comme nous l’avons esquissé plus haut, plus l’échéance de nos décisions est éloignée dans le temps, plus il est difficile de décider. En effet, le décalage temporel entre une décision et l’objectif (ou les objectifs) que nous fixons lorsque nous décidons engendre une incertitude que nous devons gérer avant même de prendre ladite décision. Cet effet, nous le ressentirions même en étant immortels …

 

À l’inverse, les décisions portant leurs effets à court terme sont plus faciles à appréhender. 

 

Mais le temps impacte également nos décisions dans une direction opposée, non pas dans l’anticipation des conséquences de nos décisions, mais dans le temps qu’il nous est parfois imparti pour prendre la décision. Lorsque nous sommes amenés à prendre ce type de micro-décision, bien souvent, elles ne portent pas loin dans le temps. Mais le temps que nous y consacrons est également réduit, parfois contraint, et nous ne sommes pas incités à dépenser de lourdes ressources mentales pour optimiser le résultat de cette décision.

 

Ce qui nous amène à privilégier la répétition, l’habitude, les émotions, bref, ce que les psychologues appellent les heuristiques de jugement. Qui nous évite de faire appel au « système 2 » mis en lumière par Daniel Kahneman (Système 1, Système 2 : les deux vitesses de la pensée). Et ce qui amène également nombre de biais cognitifs – et potentiellement, des erreurs de jugement.

 

Mais il est normal que sous contrainte temporelle, nous allions au plus rapide. Il serait dommage (et souvent déceptif) d’allouer des ressources mentales pour choisir ce que l’on va manger le soir même par exemple.

 

Mais concentrons nous sur les macro-décisions, celles qui portent loin et peuvent changer le cours de nos vies (non pas qu’une intoxication alimentaire ne soit pas un gros problème …).

 

La projection temporelle est un art des plus délicat et nous sommes très mauvais pour le faire. C’est ce que les psychologues expérimentaux ont mis en lumière au travers de nombreuses expérimentations. Car nous ne convoquons pas les heuristiques de jugement uniquement pour des micro-décisions, ou quand le temps nous manque. Nous avons été biologiquement habitués à cela, pour mieux survivre dans un monde rempli d’incertitudes et de dangers potentiels (nous imposant une décision rapide). Or, aujourd’hui, nous avons souvent les ressources temporelles et mentales pour convoquer la partie réflexive du cerveau et peser les conséquences potentielles de nos macro-décisions. Ce que nous ne faisons rarement, tant cela nous est couteux.

 

Comment cela se matérialise de manière concrète ? 

 

Commençons par ce qui a permis à Daniel Kahneman d’obtenir le prix Nobel d’économie : la mise en lumière de l’aversion à la perte. Nous en sommes, en moyenne, deux fois plus sensibles aux pertes qu’aux gains. Ce qui nous amène à prendre de nombreuses décisions qui ne sont pas rationnelles d’un point de vue économique à minima. 

 

Mais il s’avère que nous estimons également des gains ou des pertes dans d’autres types de situation. Pour le mettre en lumière, psychologues expérimentaux et économistes (Kahneman, Samuelson, Thaler pour ne citer qu’eux) convoquent l’aversion à la perte et l’effet de dotation. Ce dernier explique que nous sommes plus attachés aux « choses » (objet, statut social, …) que nous possédons ou tenons pour acquis, qu’aux mêmes « choses » dont nous ne serions pas (encore) propriétaires.

 

Ce qui amène le biais du statu quo, c’est-à-dire une préférence très nette pour le maintien du statu-quo, ou de la non-décision, lorsque nous décidons en situation d’incertitude (notamment, donc, lorsque les effets des décisions sont décalés dans le temps).

 

Pourquoi ? Parce que, étant donné que nous attachons plus de valeur à ce que nous possédons (la situation actuelle en comparaison de la situation future), et que nous accordons une valeur moindre à une perspective de gain qu’une perspective de perte de même niveau, risque la perte de la situation actuelle ne se fait que si les perspectives de la situation future sont extrêmement séduisantes (ou que l’on juge notre situation actuelle excessivement médiocre). 

 

Et la crainte d’avoir perdu ce que l’on avait (« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ») renforce encore cette propension à ne pas décider. Car on peut y adjoindre un autre biais cognitif, le biais d’attribution causale. Que l’on voit souvent s’exprimer sous la forme d’une « mauvaise foi ». C’est-à-dire que nous avons tendance à simplifier les causes des effets que l’on observe. Et lorsque cela nous concerne, à nous enorgueillir des réussites (nous attribuer le succès), et à externaliser la cause de nos échecs. Là où souvent, c’est beaucoup plus compliqué que cela !

 

Je pense que derrière le biais d’attribution causal se cache également une explication à notre difficulté à décider en situation d’incertitude. Car en plus de l’effet de dotation impliquant le risque de perte de la situation actuelle, de l’aversion à la perte requérant une belle perspective de gain pour changer, il nous sera difficile d’externaliser la cause de notre « échec » si les conséquences de la décision sont négatives. 

 

Mis bout à bout, on comprend mieux l’immobilisme humain dans de nombreux contextes, qu’ils soient politiques, civilisationnels, managériaux, … Et c’est In Fine, notre rapport au temps qui, de manière paradoxale, nous exhorte à l’immobilisme alors même que c’est le stock de temps dont nous disposons qui limite les décisions que nous pourrons prendre.

 

Si, tel highlander, nous ne mourrions pas. Qu’est-ce que cela changerait ?

 

A priori, d’un point de vue biologique, rien. Dans l’hypothèse où nous sommes bien sûr biologiquement comparables. Par contre, ce que les psychologues expérimentaux ont mis en exergue n’est pas une « fatalité ». Ce sont des régularités observées. Et surtout, il serait faux de penser que ces régularités sont tout le temps négatives. 

 

Elles nous facilitent la prise de décision, et parfois, certains professionnels chevronnés (tels que des pompiers expérimentés) sont capables d’utiliser à bon escient leur système 1 pour prendre de très bonnes décisions. Autrement dit, de décider rapidement sans trop réfléchir. Qu’est-ce qui leur donne cette habitude ? Simplement l’entrainement. Plus précisément, la répétition des situations. 

 

Donc Highlander pourrait aisément expérimenter tout type de situations au travers des âges, et s’il disposait d’une flexibilité mentale lui permettant de s’adapter facilement aux différentes époques, serait probablement plus enclin à prendre de bonnes décisions sans même y réfléchir !

Et c’est l’expérience qui lui donnerait cette capacité.

 

Ensuite, peut-être que cela changerait sa capacité à se projeter dans le temps. Ou autrement dit, à appréhender l’incertitude liée au décalage temporel décision-effet. Peut-être accorderait-il plus de valeur aux gains qu’aux pertes ? Peut-être serait-il plus enclin à accepter les changements (à force d’en vivre) ? Peut-être serait-il moins attaché à ses possessions (à force de vivre fortune et misère) ?

 

Bon là, on rentre dans la fiction 😉

 

Regardons plutôt dans le rétroviseur, afin de voir de quelle manière le temps impacte le résultat concret de nos décisions.

 

 

Le temps et le résultat de nos décisions (a posteriori)

 

Cette vision-là, nous ne la convoquons que rarement avant de prendre une décision. Par contre, c’est notre (presque) unique clé de lecture des décisions passées. L’histoire et sa lecture nous masquent bien souvent le foisonnant arbre des possibles qui s’offraient aux protagonistes du passé, pour le réduire à ce qui s’est effectivement passé.

 

Et bien souvent, nous souhaitons apprendre du passé et de l’histoire pour construire l’avenir, mais peut-être que nous occultons la partie la plus intéressante : ce qui ne s’est pas passé. Ici, c’est un peu comme la projection temporelle vers l’avant. Plus nous remontons loin dans le passé et plus il est difficile de percevoir autre chose que le fil des évènements qui se sont effectivement déroulés et ont laissé une trace.

 

Lorsque nous prenons une décision, nous résumons souvent l’objectif ou la situation future espérée à un simple état de fait. Tout en occultant tout ce que le temps qui sépare la prise de décision de ses effets apportera. Sur les conséquences de notre décision, mais également sur nous-même (le temps nous change, et nous ne serons probablement plus tout à fait la même personne entre le moment où nous prenons une décision et ses effets).

 

Pour comprendre ce problème de prise en compte du temps passé, je vous présente un nouveau biais cognitif : le biais du survivant. L’illustration classique de ce biais a lieu durant la seconde guerre mondiale, lorsqu’il a été demandé à des ingénieurs de travailler sur le renforcement du blindage des bombardiers anglais. Observant les avions endommagés au hangar, la première idée fut de renforcer les parties ayant subi le plus d’impacts. Sauf que l’échantillon analysé n’était pas complet, puisqu’il manquait tous les avions qui avaient été abattus. Et il s’avérait que les parties les plus cruciales, qui devaient être renforcées, n’étaient pas celles des avions qui revenaient, mais celles des avions tombés au combat. Bref, le biais du survivant, c’est l’histoire racontée par les vainqueurs (c’est-à-dire une grande partie de notre Histoire). 

 

Et dans de nombreuses situations, il est au moins aussi important de considérer ce qu’il ne s’est pas passé (ou ce que l’on ne peut pas observer) que ce qu’il s’est passé.

 

Mais revenons-en à nos décisions individuelles. Nous sommes amenés à en juger une fois leurs conséquences sont effectives. Si, a priori, nous avons du mal à nous projeter et anticiper le résultat de nos décisions, il s’avère qu’a posteriori, nous en sommes de bien piètres juges également. 

 

En cause, le biais d’attribution notamment, encore une fois. C’est-à-dire que les conclusions que nous tirons des résultats d’une décision ou d’une action que nous avons engagé sont rarement objectives, et encore moins exhaustives. Et bien souvent, elles maximisent le rôle que nous avons eu si c’est « une réussite » (causalité dispositionnelle – ça vient de nous), le minimise si c’est « un échec » (causalité situationnelle – ça vient des autres). Nous avons donc plus de facilité à convoquer les éléments extérieurs lorsque les choses ne se passent pas comme prévu.

 

C’est en grande partie un mécanisme de protection de l’ego qui se cache derrière ces jugements biaisés de nos propres décisions. Cependant, une expérience menée dans le milieu scolaire à montré que la manière que nous avions d’interpréter les évènements passés pouvait impacter les décisions futures. Enfin surtout, les résultats obtenus. En modifiant l’attribution d’étudiants qui avaient eu de mauvais résultats aux examens précédents (et les attribuaient à des facteurs situationnels), ils ont significativement augmenté les résultats aux examens suivants. C’est-à-dire qu’en faisant accepter la part de responsabilité individuelle dans le mauvais résultat, ils ont incité les étudiants à trouver une solution dont ils étaient maîtres (c’est-à-dire, travailler plus 😉).

 

On voit ici que le jugement « a posteriori » de nos décisions impacte également nos futures décisions « a priori ». 

 

Mais sortons du domaine de la psychologie et terminons par une petite histoire, de celles qui font l’histoire avec un grand H : l'histoire de la découverte du tombeau de Toutankhamon.

 

Je vous passe la vie de Toutankhamon. Ce qui est intéressant, c’est pourquoi on le connait, même si on n’a jamais entendu parler d’égyptologie. Il s’agit de la seule tombe de pharaon qui ait été retrouvée presque intacte et complète. Pour compléter un peu, durant les millénaires qu’a duré le « règne » de l’Egypte antique (eh oui, les civilisations modernes sont jeunes à coté !), les pharaons, dirigeants de droit divin égyptiens, étaient momifiés et inhumés avec de nombreux trésors après leur mort (relativement à la croyance de l’époque de leur vie dans l’au-delà). 

 

Ces habitudes étaient bien connues des pilleurs de tombe, et ce bien avant l’époque moderne et les productions audio-visuelles éponymes. Donc durant des millénaires, les Égyptiens antiques n’ont eu de cesse de tenter de protéger au mieux les tombes des pilleurs. En les cachant, en les regroupant au sein d’un lieu facile à surveiller (vallée des rois), … . Leurs efforts furent en partie vains puisqu’à l’époque moderne, très peu de tombeaux ont été retrouvés intacts. Surtout lorsqu’il s’agissait des plus richement décorés.

 

Mais un en particulier fit exception : celui de Toutankhamon. Pourquoi donc ce tombeau a-t-il été retrouvé intact ? Les égyptologues ont découvert très peu de traces de son nom sur des éléments de l’époque (cartouche, obélisques, …). En fait, les successeurs de Toutankhamon, qui était le dernier de sa lignée, ont vraisemblablement fait effacer son nom, et il est resté quasi-inconnu de tous, y compris des pilleurs de tombe de l’antiquité. Pour être aujourd’hui le plus célèbre des pharaons de l’Egypte antique.

 

Cette histoire mérite d’être méditée. L’acte même qui avait pour but d’invisibiliser l’existence de Toutankhamon après sa mort l’a rendu plus célèbre qu’aucun autre. Le temps (très long ici), a amené l’exact opposé de ce qui était recherché par la décision de le rendre invisible. Dans l’immense éventail des possibles qui auraient pu arriver par la suite de cette décision, c’est l’opposé de l’objectif qui s’est imposé. 

 

La prochaine fois que vous aurez une décision importante à prendre, gardez cette histoire en tête. 

 

Elle amène de nombreuses questions très intéressantes, telles que :

 

Au moment où l’on juge du résultat de nos décisions, que reste-t-il, justement, de nos décisions ? De ce qui nous a poussé à les entreprendre ? 

Beaucoup de nos décisions n’ayant pas d’échéance précise, à quel moment doit-on en juger les résultats ? Même en cas d’échéance précise, peut-on en juger a posteriori ? Ou seulement relativement aux moyens employés par rapport à l’objectif a priori ?

 

 

En guise de conclusion 

 

Le temps apparaît ici comme un continuum dynamique que nous segmentons de manière statique, et dont nous visualisons les segments avec des œillères. Ces œillères nous cachent le foisonnant arbre des possibles lorsque nous prenons une décision. C’est l’incertitude liée à toute décision. Et plus le temps entre la décision et ses effets augmente, plus l’incertitude s’accroît. Mais ces œillères fonctionnent également lorsque nous observons un segment antérieur de notre continuum temporel. Plus exactement, elles occultent à la fois ce qu’il aurait pu se passer, et les causes réelles des évènements. Que ce soit à long terme au travers de l’histoire, ou à notre échelle au travers de l’effet d’attribution. Et cette vision biaisée de notre passé (limitée à ce qui s’est passé et à des explications simples) participe à la limitation de notre champ de vision pour nos décisions futures. D’où la notion de continuum.

 

Là où le temps est en réalité le vecteur de réalisation du chaos du réel. A priori, c’est l’infini des possibles. A posteriori, c’est le chemin (unique) qu’a pris le réel dans ce chaos. Chercher les raisons et explications de ce chemin est utile, car c’est de cette manière que l’on peut espérer appréhender un peu mieux ce chaos, dans nos décisions futures. C’est de l’expérience du passé que l’on tire les enseignements qui fondent nos décisions futures. Mais encore faut-il en tirer les « bons » enseignements. Ceux qui nous permettent d’avancer, de progresser. Pas de s’aveugler dans une sorte de complaisance égotique, un déterminisme rigide ou un relativisme nihiliste. 

 

Cette vision du temps et de la vie est celle qui me semble la plus « équilibrée ». À mi-chemin entre le déterminisme que proposent les religions, le relativisme qui s’ensuit et qui ne nous incite pas explorer nos possibles (individuellement et collectivement). Et l’illusion de la maîtrise totale de nos destinées, que nos sociétés occidentales véhiculent à outrance tant elle séduisante d’un point de vue psychologique. Mais qui génère de nombreux maux, qu’ils soient psychiques, environnementaux, sociaux, … 

 

Ces deux visions opposées sont en quelques sortes les deux grandes croyances qui régissent notre monde. Et qui sont, par ailleurs, irréconciliables. Pourtant, les deux semblent erronées : le déterminisme peut faire sens lorsque l’on regarde le temps a posteriori. La croyance en la maîtrise de nos destinées lorsque l’on regarde a priori. Mais lorsque l’on confronte ces deux visions au sein du continuum temporel de nos vies, ni l’une ni l’autre ne sont satisfaisantes. Alors on protège nos egos, nos représentations du monde, ce que l’on attache à nos personnes en tordant la réalité par divers mécanismes psychologiques. Mais on ne se confronte que trop rarement au réel. On évolue peu.

 

Et quelques idées pour mieux vivre le temps :

 

Nous ne pouvons maîtriser le temps ; mais c’est lui qui donne du sens à nos décisions et nos actions ; d’où l’idée d’accorder de l’importance à nos actions (sens) indépendamment de leur résultat. Car le temps apportera son lot de contingence que nous n’aurons pas anticipé.

 

Mais également de respecter notre rapport au temps (qui n’est pas universel). D’apprécier le continuum temporel en tant que tel, indépendamment de toute projection. De laisser notre bonheur expérimenté s’exprimer et ne pas trop se focaliser sur le bonheur mémoriel.

 

 

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