Épargne et climat, même combat ?

Par François GALVIN  •   Publié le jeudi 21 novembre 2024
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On entend régulièrement parler du rôle de l’épargne dans la transition écologique. Enfin, le plus souvent, c’est pour pointer ses faiblesses, c’est-à-dire la mauvaise orientation des capitaux disponibles vers des entreprises peu vertueuses, voire nocives. Ou alors pour vanter les mérites d’un dispositif ou label censé mieux orienter, justement, ces mêmes fonds. 

 

D’ailleurs, de lourds efforts sont en cours au sein de l’industrie financière pour rendre l’impact de l’épargne plus transparent, sous l’impulsion du régulateur financier européen (Directive CSRD).

 

Mais ce n’est pas l’objet de cet article. Nous n’allons pas parler du contenu mais du contenant. 

 

C’est la publication de l’excellent (et récent) travail de l’Insee, Peut-on prendre en compte le climat dans les comptes nationaux ? (https://www.insee.fr/fr/statistiques/8276271#graphique-figure4) qui m’a inspiré ces quelques mots. Je m’y réfèrerai beaucoup par la suite, et je vous invite à en prendre connaissance tant ce travail est important pour la prise en compte des externalités climatiques dans le logiciel économique. Et au-delà, pour la construction d’un socle scientifique solide permettant à l’action politique de se matérialiser en matière économique et écologique, notamment via des agrégats tels que le Produit Intérieur Net (ajusté des dommages climatiques) et l’épargne nette ajustée étendue.

 

Mais commençons par définir brièvement notre sujet du jour. Nous entendrons ici, par épargne, la partie du revenu qui n’est pas consommée. Il s’agit donc de l’épargne au sens large, qui inclue l’investissement.

 

Pour ce qui est du climat, cela semblera probablement un peu réducteur, mais comme souvent en la matière, c’est principalement des émissions de CO2 dont il s’agit. Ce n’est donc pas une vision globale du climat. Mais c’est celle choisie par l’Insee dans son travail, et c’est surtout celle pour laquelle il est le plus facile de quantifier les impacts humains, et donc de fixer un « prix ». Si cette restriction est utile pour l’exercice, il ne faut pas perdre de vue qu’il ne s’agit que d’une des limites planétaires que notre activité impacte. 

 

Mais pour aujourd’hui, cela ne devrait pas être trop dérangeant puisqu’il ne va pas s’agir de quantifier, mais de relier des concepts très différents. L’un, l’épargne, faisant partie de notre quotidien (lorsque nous le pouvons) et ayant une pleine part dans la science économique. L’autre, le climat, beaucoup plus abstrait vis-à-vis de notre quotidien (bien que nous sachions que quels que soient les efforts que nous fassions, ce n’est à priori pas assez), très bien documenté dans la littérature scientifique, beaucoup moins dans la littérature économique.

 

L’idée étant de faciliter la compréhension, l’acceptation et l’action vis-à-vis d’une problématique aussi complexe que le climat, à la lumière de nos comportements d’épargne.

 

 

A. Au niveau individuel (micro)

 

Comme cadré en introduction, l’épargne est la partie non consommée du revenu. Si l’on y regarde de plus près, ce revenu non consommé n’est pas détruit, mais bien « conservé » pour plus tard. Il s’agit donc d’un transfert intertemporel de revenu.

 

Ce simple fait est très puissant à plusieurs égards. Déjà parce qu’il complexifie le rôle que nous avons au sein du schéma économique. Plus que de simples consommateurs ou travailleurs participant à la création de richesse collective, cette projection temporelle force le schéma à se complexifier. Si l’on veut comprendre l’économie, impossible de le faire de manière statique uniquement. Nous sommes forcés d’intégrer cette dimension intertemporelle qui est propre à l’épargne.

 

Mais pourquoi transfère-t-on du revenu dans le temps ? 

 

  • La consommation différée

 

La première des raisons, c’est pour pouvoir consommer plus, plus tard, en mettant de côté une partie de notre revenu jusqu’à temps de pouvoir s’offrir l’objet de notre convoitise. C’est la consommation différée. Et c’est très intéressant, car cela témoigne de notre capacité à renoncer à un plaisir immédiat pour un assouvir un besoin à plus long terme. Surtout, cela nous prouve bien que nous ne sommes pas de simples animaux économiques dominés par leurs pulsions de consommation. 

 

Cette caractéristique peut s’étudier de diverses manières, surtout en psychologie expérimentale, et me semble particulièrement importante s’agissant du climat. Enfin, plus précisément, de l’impact de notre mode de vie, ici notre consommation, sur le climat. Car renoncer à consommer est le premier pas vers un mode de vie plus sobre, et potentiellement plus en phase avec notre climat. Ainsi, l’épargne, au travers de la consommation différée, me semble être quelque chose que nous faisons tous lorsque nous le pouvons, et qui s’assimile à une forme de sobriété, au moins dans sa première partie (la seconde étant la consommation différée, qui finit tout de même par arriver). 

 

Je ne développerai pas plus ce point ici, mais je l’ai déjà fait là si ça vous intéresse (https://eldorago.fr/blog/25333-consommation-et-epargne-analyse-economique-et-ecologique).

 

  • L’investissement 

 

On peut également transférer un excédent de revenu dans le temps sans volonté (directe) de le consommer, mais pour le faire fructifier. On parle dans ce cas d’investissement. Notons tout de même que la frontière entre les deux est assez mince, certaines sommes investies pouvant servir ultérieurement à être consommées.

 

Ici, nous sommes pleinement dans la dimension intertemporelle de l’épargne, puisque nous immobilisons une part de nos revenus dont nous n’avons pas besoin immédiatement, pour en avoir plus, plus tard. 

 

Et ça tombe bien, parce qu’un des aspects le plus difficile à prendre en compte lorsqu’il s’agit d’intégrer les enjeux climatiques à notre mode de vie, c’est la dimension intertemporelle. C’est-à-dire que nous devons aujourd’hui adapter notre manière de vivre pour que de potentiels inconnus en bénéficient dans 40 ou 60 ans. Autant dire que c’est un investissement à très long terme !

 

Et plus le terme d’un projet (entendez, d’une projection temporelle) est éloigné, plus il est difficile de se représenter le problème et d’agir. Cela étant, est-ce si différent de certains projets d’investissement, comme ceux pour la retraite ? Bien qu’on le fasse pour « nous », de nombreuses autres parties prenantes vont en bénéficier (entreprises financées, leurs actionnaires, les éventuels conseils en charge du placement, les courtiers, …). 

 

La manière d’immobiliser son argent n’est pas non plus sans rappeler une autre dimension des changements sociétaux nécessaires. Car d’ici la fin du siècle, outre des modes de vie bien différents, nous aurons grandement besoin d’investissement justement. Notamment afin de modifier les infrastructures économiques, énergétiques et modales nous permettant de nous passer d’énergies fossiles sans pour autant trop « perdre » en confort. 

 

  • Une histoire d’anticipations rationnelles … ou pas 

 

La science économique postule un fait très intéressant dans ses modèles, relatifs à notre fonctionnement. Ce sont les anticipations rationnelles. C’est-à-dire que nous serions des agents économiques capables de parfaitement anticiper ce qu’il va advenir et que nos choix intertemporels sont justes. Ce qui simplifie (et même permet) la modélisation économique lorsque la dimension temporelle y est intégrée.

 

Sauf que la réalité est bien différente … les critiques à ce sujet sont nombreuses, et pour un exemple récent, je vous recommande la note d’Alain Grandjean sur les modèles économiques sous-jacents aux travaux climatiques tels que les rapports du GIEC notamment (https://chair-energy-prosperity.org/chercheurs-associes/modeles-iams-leurs-limites/ ; critique n°11).

 

De manière plus concrète, qu’il s’agisse d’épargne ou d’anticipation des problèmes climatiques, nous ne sommes globalement pas très efficaces pour nous projeter dans l’avenir de manière rationnelle. Si la finance comportementale a déjà bien exploré cela pour l’épargne de long terme, notamment via les travaux de Richard Thaler et Daniel Kahneman, il serait tout à fait opportun de mieux comprendre notre manque de rationalité dans la prise en compte du climat dans nos actions.

 

Et ce, à minima dans deux directions : 

  • Celle de « l’intégration mentale » des dommages futurs que notre activité actuelle engendre sur le climat (flux)
  • Sur le dimensionnement des investissements à réaliser dès à présent pour éviter une trop grande dévaluation future des autres actifs (stocks)

 

Ici apparait l’importance de pouvoir mettre un prix sur les dommages futurs que nous causons (et donc l’importance de travaux comme ceux de l’Insee).

 

Car, notamment pour la seconde direction, on parle de bien de rationalité au sens économique du terme. Les détenteurs d’actifs (tous les épargnants entre autres) perdront irrémédiablement une partie de leur épargne du fait de la non soutenabilité de notre fonctionnement actuel. Si nous étions capables d’anticipations rationnelles, nous réorienterions sans nul doute une bonne partie de notre épargne, mais peut-être même que nous modifierions nos attentes de rendement des actifs dans lesquels nous investissons. Et également notre appréciation du risque, le rendement y étant indissociable. Bref, le risque climatique nous apparaitrait de manière beaucoup plus claire.

 

Voilà pour la partie micro de cette brève analyse, et nous voyons je l’espère clairement que le renoncement à la consommation ainsi que la dimension intertemporelle relient inexorablement épargne et climat dans la manière que nous avons d’effectuer nos choix.

 

 

B. Au niveau collectif (macro)

 

L’analyse au niveau collectif pourra sembler plus abstraite, mais elle va grandement s’inspirer du rapport de l’Insee précité. Car la principale force de ce travail est d’agréger au niveau national les dommages climatiques, de les quantifier (avec un périmètre rappelons le restreint aux seules émissions de CO2 – donc minoré), et de les agréger avec les chiffres du produit intérieur net (PIN) et de l’épargne nette (EN). Pour vous donner quelques clés de lecture de ce rapport si cela vous intéresse, la différence entre le PIB et le PIN est la consommation de capital fixe (en comptabilité, on parlerait d’amortissement et de dépréciation d’actifs). En langage plus traditionnel, il s’agirait de la production nette des investissements nécessaires pour maintenir les infrastructures en état. L’épargne nette s’entend comme l’épargne nationale (conforme à notre définition de départ, c’est-à-dire la part du revenu national qui n’est pas consommée) à laquelle on retire la consommation de capital fixe. Ce qui nous donne, en langage courant, l’épargne nette des investissements nécessaires. Leurs travaux nous livrent donc un état des flux et stocks cohérent, déduction faite l’impact climatique de nos activités.

 

Ici, lorsque l’on ne prend pas en compte le climat, c’est l’épargne qui est garante du bon entretien des infrastructures (et elle le couvre, avec plus ou moins de marge, chaque année). Mais lorsque l’on intègre le coût climatique, on se rend compte que notre épargne nationale ne suffit pas à couvrir les dommages climatiques futurs en plus.

 

Au-delà de ces considérations techniques, ce que je trouve intéressant est de présenter l’épargne de manière similaire au climat, de deux manières :

 

B.a. Comptable

 

  • Actifs et passifs : dommages futurs et adaptation (symétriquement, épargne et investissement)

 

On peut considérer les dommages futurs que nos émissions actuelles engendreront comme une dette climatique, un passif, à partir du moment où elles excèdent notre budget carbone (ce qui est actuellement le cas). Nous disposons également d’actifs qu’il s’agit d’entretenir via l’épargne nationale, et qui se dégraderont irrémédiablement au travers du temps, probablement de manière accélérée par les dommages climatiques.

 

Il y a donc une double comptabilisation : celle des dommages futurs, le « passif » déjà en cours de constitution mais dont les dégâts ne se font pas encore subir et celle des dépenses d’adaptation, qui doivent permettre d’atténuer à la fois l’impact de nos activités sur le climat mais également l’impact du climat sur nos infrastructures. Ces dernières concernent donc « l’actif » puisqu’il s’agit de dépenses d’investissement dans les infrastructures.

 

Symétriquement, on peut voir apparaitre un parallèle avec les deux composantes (non détaillées par l’Insee) de l’épargne : l’épargne dite de précaution et l’investissement. C’est-à-dire que la part de l’épargne non investie pourrait servir à amortir les dégâts futurs (quelle qu’en soit leur nature par ailleurs), et la part investie à adapter nos infrastructures.

 

Dans ce schéma sans aucune forme de faisabilité technique, soyons honnêtes, l’épargne non investie absorberait le passif climatique tandis que l’épargne investie permettrait l’adaptation. 

 

  • l'approche de l'Insee : 

 

Dans son travail, L’Insee assimile les émissions CO2 à une consommation de capital de type « obsolescence et usure » (une consommation de capital fixe, donc d’épargne). Cette approche est très intéressante car elle rend compte, année après année, de l’impact futur de ce qui constitue un stock (le CO2 dans l’atmosphère), que nous enrichissons au fil du temps, mais dont les effets néfastes ne se font pas encore totalement ressentir.

 

Bien que cela paraisse contre-intuitif, c’est particulièrement pertinent dans la mesure où nous savons quel est le niveau maximal de concentration de CO2 dans l’atmosphère à ne pas excéder. Et que nous avons déjà commencé à le saturer depuis bien longtemps. C’est à dire que d’une certaine manière, le climat est une des parties de notre « capital », de notre épargne, que nous avons déjà commencé à détériorer sans l’amortir, et que nous devons dorénavant intégrer. 

 

Mais là où leur approche est brillante, c’est que les coûts estimés (172€ la tonne de CO2) ne le sont pas sur la base d’une estimation de modèle économique visant à inciter les acteurs à modifier leurs pratiques (prix actualisé), ni même à une évaluation historique ou absolue du prix du carbone, mais bien à une estimation du coût social du carbone. Qui est un chiffrage du coût des dommages à venir. 

 

Ce qui implique que cette approche a une double vertu : « aplanir » deux siècles d’émissions de CO2 pour driver nos émissions actuelles et futures tout en restant fermement ancrée dans une comptabilité analytique en estimant le coût de l’usure que ces émissions impliqueront, année après année, sur nos infrastructures. 

 

Au-delà de l’exercice intellectuel assez poussé que cela représente, c’est surtout un bel exemple d’internalisation des externalités économiques que le logiciel traditionnel est aujourd’hui bien incapable de faire. Et bien qu’il s’agisse de comptabilité nationale, cela peut certainement servir de base solide pour des développements en comptabilité d’entreprise, en nouveaux agrégats pour mieux piloter la politiquement économique ou encore à d’autres travaux de recherche sur des thèmes connexes.

 

B.b. Patrimoniale

 

Cet aspect là n’était peut-être pas voulu par l’Insee, mais il m’est apparu comme constituant un lien entre le niveau individuel et collectif. C’est surtout le choix de certains termes qui m’ont semblés très parlants, et terminer là-dessus me semble très opportun pour reboucler sur le parallèle épargne/climat.

 

  • « L’épargne nette léguée »

 

Ce que nous observons dans la comptabilité, plutôt proche du monde de l’entreprise, peut également s’exprimer d’un point de vue patrimonial, plus proche du monde des humains. Notamment le terme d’épargne nette léguée.

 

Dans un pays comme la France où la culture du legs et de la transmission est bien ancrée dans les traditions, l’accumulation d’épargne et de patrimoine répond à un objectif souvent particulier à un stade avancé du cycle de vie du citoyen : transmettre à ses héritiers.

 

Or, agrégé au niveau national, pour pouvoir en léguer une partie, l’épargne nette doit à minima couvrir annuellement le niveau de production courante nécessaire pour maintenir la valeur des actifs compte tenu des consommations, amortissements et dépréciations. Si pour le moment nous y arrivons, c’est parce que nous disposons d’un fort taux d’épargne (17.1% au T1 2024). Mais également parce que nous ne tenons pas compte du cout des dommages futurs causés aux actifs (faisant partie pour le coup non pas de l’épargne mais du patrimoine national en quelques sortes), ainsi que du coût d’adaptation.

 

Dit autrement, nous vivons à crédit vis-à-vis de la prochaine génération (et probablement de la suivante également). Ce que nous accumulons de la manière dont nous le faisons aujourd’hui est en réalité contre-productif dans une logique de transmission. Et c’est l’épargne nette qui l’exprime et le quantifie. C’est peut-être cet agrégat de l’étude qui est le plus intéressant car on se rend bien compte, dans une logique de flux d’épargne annuel, de la différence entre ce que nous faisons aujourd’hui et ce qu’il faudrait faire. 

 

Pour être plus précis, ces flux d’épargne nets, ajustés de notre consommation de carbone, sont négatifs. Là où les flux nets non ajustés sont bien évidemment positifs. Comme toute intégration quantitative de la composante carbone dans un modèle économique, on pourrait penser qu’il suffirait, par exemple, de tripler ou quadrupler notre épargne pour compenser le coût des dégâts futurs. Ce qui est « vrai » dans le modèle et vaut à ce type de considération un grand nombre de critiques, puisque pas forcément incitatif à changer d’habitudes de production et de consommation (et donc à protéger « la planète »). En gros, si on n’épargne pas assez pour les générations futures, mettons plus d’argent de côté !

 

Mais cela n’aurait pas de sens dans le monde réel, puisqu’il serait beaucoup plus couteux de faire ainsi, surtout si l’on dispose avant que les dommages ne se fassent ressentir, des montants auxquels ils correspondront. Mieux vaut engager dès à présent certains investissements d’adaptation, pour reprendre la symétrie épargne/investissement vue plus haut, et conserver la part d’épargne non investie pour amortir de futurs dommages subis. Ce d’autant plus qu’ici également, comme nous allons le voir, un effet de type « boule de neige » se fait ressentir avec le temps.

 

Notons tout de même que cette approche visant à quantifier parle d’adaptation et d’amortissement, mais pas d’atténuation. Il va sans dire (et cela pourrait d’ailleurs être un prolongement de ces travaux de recherche) que des efforts de sobriété atténuant dès à présent les émissions nationales auraient un effet positif sur l’épargne nationale ajustée, dans l’hypothèse où l’impact de la sobriété ne diminue pas trop le revenu national (rappelons ici que l’épargne nationale est la part du revenu non consommée. Si l’on diminuait la consommation, on devrait donc avoir une épargne nationale plus élevée. Mais prenons garde à l’effet de bord que constitue l’impact de la moindre consommation sur le revenu national, d’un exercice sur l’autre …)

 

  • L’effet boule de neige

 

C’est le second parallèle patrimonial de cette étude. Il parlera à tous ceux qui se sont intéressés à un moment ou à un autre de leur vie aux placements financiers. Le nom plus technique de cet « effet boule de neige » est « intérêts composés ». Le principe, pour ceux qui ne le connaissent pas, est que l’on sous-estime systématiquement les effets d’un taux d’intérêt annuel – même minime - sur une somme placée, mais appliqué sur de longues périodes, au-delà de 20 voire de 40 années. La courbe suit une trajectoire exponentielle qui fait que l’on conseille souvent de commencer à investir tôt pour sa retraite, de petites sommes placées pouvant produit un grand capital au bout de 40 ans. Une somme par ailleurs constituée de bien plus d’intérêts que de capital à l’arrivée.

 

Un effet similaire de l’inaction climatique apparait ici, que l’on pourrait nommer « intérêts composés de notre dette climatique ». C’est-à-dire que les émissions de CO2 actuelles engendrent un coût futur, celui des dommages à venir, qui est augmenté par le coût d’adaptation des infrastructures, dont la viabilité sera de moins en moins assurée à mesure que les dommages se concrétiseront. Effet dont la vitesse est augmentée par le niveau de nos émissions actuelles et futures. Plus il sera élevé, moins la quantité de CO2 restant « à émettre » sera importante au fil du temps, et moins la marge de manœuvre future sera grande.

 

Je ne pense pas que cet effet surprenne quiconque s’intéresse de près à notre empreinte carbone, l’image de l’atmosphère comme une « bassine » pleine de CO2 et prête à déborder étant désormais bien connue. Par contre, le fait de quantifier le coût des dommages ainsi que des dépenses d’investissement nécessaires permet de matérialiser cet effet boule de neige et de se rendre compte du coût de l’inaction climatique en termes monétaire, vis-à-vis des bénéficiaires de notre patrimoine : les générations futures. Un coût qui ne fait que croitre à mesure que nous n’agissons pas, qu’il s’agisse prioritairement d’atténuation (via la consommation), mais également d’adaptation (via l’investissement) et In Fine d’amortissement des dommages futurs (via l’épargne).

 

 

Conclusion : 

 

Placer le climat et l’épargne sur un même niveau me semble être un choix judicieux à plusieurs égards. 

 

La dimension intertemporelle des choix individuels est similaire lorsque l’on considère l’épargne comme les actions nécessaires pour endiguer le dérèglement climatique. Ils nécessitent tous deux des renoncements immédiats au profit d’un plus grand bien être plus tard. Et même si l’on considère le bien être d’un point de vue financier, ce que l’étude de l’Insee nous montre, c’est qu’il est rationnel de considérer dès à présent des investissements d’adaptation, les autres étant voués à se déprécier au fil du temps (et de l’impact croissant des dommages climatiques).

 

Le problème souvent énoncé vis-à-vis de cette « rationalité » est l’incertitude quant à la temporalité et le niveau d’impact des dommages futurs. Mais pensons à celles et ceux qui se trouvent dors et déjà abandonnés par leurs assureurs (en Californie notamment). Pour ceux-là, les coûts des dommages « futurs » et leur manque de provisions sont déjà d’actualité. S’il est vrai que la science économique aime à penser la rationalité en des termes de probabilité de survenance d’évènements, les phénomènes climatiques sont tels qu’il ne sera probablement jamais possible de les estimer précisément. Pour autant, tant les évènements que leurs conséquences pécuniaires sont déjà une réalité.

 

Et pour ceux qui ne se sentent pas directement menacés, l’échelon collectif et la dimension patrimoniale du climat nous montre également que dans la manière que nous avons de gérer actuellement cette problématique, ce sont des dettes financières que nous transmettons, année après année. À la nation, mais également à nos héritiers. La pérennité de nos infrastructures s’en trouve mise en cause. Et derrière nos infrastructures, ce sont toutes nos activités économiques qui résident (rappelons que le Produit intérieur net utilisé dans cette étude représente le PIB moins les dépenses d’amortissement et de renouvellement de ces infrastructures. Donc sans ces investissements, il y aurait moins de PIB). 

 

Le tout allant de plus en plus vite au sein d’une forme d’effet boule de neige de dépenses d’amortissement des dégâts futurs couplées à celles d’investissement nécessaires à l’adaptation. Il est temps de stopper ce cercle vicieux, et le triptyque atténuation / adaptation / provision pourrait permettre d’y parvenir. À nous de jouer ! 

 

 

 

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