Finance verte, labels et Greensurfing

Par François GALVIN  •   Publié le jeudi 25 janvier 2024
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Il y a un problème fondamental en investissement, si l’on souhaite donner du sens à son argent en investissant dans des entreprises : soit on prend de gros risques en « deal by deal » (achat des titres financiers individuellement), mais on lui donne un sens réel et cohérent avec nos attentes, soit on fait confiance à des gérants d’actifs dont les méthodes de gestion (visant à optimiser la performance compte tenu du risque) priment sur le sens absolu du fléchage des fonds vers des entreprises réellement vertueuses.

 

Autre problème, les fonds fléchés par l’épargne traditionnelle le sont vers de grandes sociétés établies. Pas vers de jeunes pousses dont l’alimentation en capitaux serait bien plus utile. La méthodologie financière de maitrise des risques en est la cause.

 

La diversification est un outil de gestion financière très utile, mais l’est beaucoup moins du point de vue de l’utilité sociétal.

 

Enfin, il y a un problème du fonctionnement des labels : il s’agit d’un fourre-tout thématique. Avec un périmètre d’intervention de chaque label variable, non-exhaustif et surtout non-complémentaires entre eux.

 

De ce cadre conceptuel créé, en théorie, pour permettre à la finance de prendre sa part dans la transition énergétique, découle une tendance que nous appelons le Greensurfing. Il ne s’agit pas, à l’inverse du Greenwashing, de véhiculer des messages totalement contradictoires avec son impact réel. Le Greensurfing est plus consensuel. Il accentue l’impact réel de ses actions en masquant les éléments qui pourraient permettre de douter. Il s’appuie (en finance) sur les labels ainsi que la complexité inhérente à ce secteur pour simplifier son message marketing et rendre son action plus utile qu’elle ne l’est réellement. Par là même, les entreprises l’utilisant fondent leur développement commercial sur un message partiellement mensonger. Cependant, à l’inverse du Greenwashing, ça va quand même dans le bon sens et l’impact existe, bien qu’il soit surévalué. 

 

 

Commençons par explorer les labels existants :

 

  • Label ISR en bref :
    • L’Environnement ; Le Social ; La Gouvernance et le respect des droits humains (ESG).
    • « Le cahier des charges du Label ISR oblige les fonds candidats au Label ISR à apporter des éléments de preuve sur la qualité durable de leurs investissements en démontrant qu’ils sont, à tout moment, meilleurs que leur indice de référence ou leur univers d’investissement sur au moins deux indicateurs ESG ». 
    • L’évaluation repose en grande partie sur la notation ESG des entreprises investies.
    • Et repose beaucoup sur des tiers, agences de notation ESG, et leurs et méthodes et critères choisis (qui peuvent être variable !)
    • Avec une méthodologie très technique et précise.
    • Beaucoup de documents à fournir, tous les aspects actionnariaux sont couverts (vote, transparence +, …), de gros moyens sont nécessaires (humain, mise en place d’organes de contrôle, …) au sein des sociétés de gestion. 
    • Bref, beaucoup de forme, mais un fond potentiellement variable. Ceci dit, ça va dans le bon sens et tous les aspects sont pris en compte. Mais l’approche quantitative amène à des failles potentielles dans la notation ESG, et l’approche « meilleur que la moyenne » rend l’efficacité un peu tiède. De la même manière que le « benchmark » de la moyenne, l’indice de référence qui peut comporter des secteurs ou peu d’acteurs ont un impact positif. Une fois encore, une obligation de moyens, pas de résultats.

 

  • Label Greenfin en bref :
    • Exclusion de l’activité pétrolière. 
    • Exclusion des entreprises réalisant plus de 30% de leur CA dans les activités suivantes : les centres de stockage et d’enfouissement sans capture de GES ; l’incinération sans récupération d’énergie ; l’efficience énergétique pour les sources d’énergie non renouvelables et les économies d’énergie liées à l’optimisation de l’extraction, du transport et de la production d’électricité à partir de combustibles fossiles ; l’exploitation forestière, sauf si elle gérée de manière durable, et l’agriculture sur tourbière. Intéressant car précis mais pas très exhaustif.
    • Pas d’approche contraignante en critères ESG, mais prise en compte et présentation (pour les exclusions notamment – montrer qu’on est sélectif et pourquoi).
    • Mesure a posteriori de l’impact dans au moins un des quatre domaines : Changement climatique, Eau, Ressources naturelles, Biodiversité.
    • En bref, intéressant. Une démarche qui semble moins « formelle » que le label ISR, mais se veut avoir plus de fond.

 

  • Label Finansol en bref :
    • L’encours de l’épargne finance des projets solidaires : tout ou partie de l’encours de l’épargne (c’est-à-dire l’argent placé) est affecté au financement d’entreprises solidaires œuvrant principalement dans les domaines suivants : accès à l’emploi et au logement, soutien d’activités écologiques et à l’entrepreneuriat dans les pays en développement. De 2.5% à 10% de l’encours pour les fonds euro et UC. Ce qui reste assez faible.
    • Les revenus de l’épargne soutiennent les activités d’association : au moins 25% des intérêts sont versés de façon régulière (au moins annuellement) par l’épargnant sous forme de don à des organismes bénéficiaires. C’est donc l’épargnant qui « paye » l’aspect solidaire (pas un % des frais de gestion perçus par exemple).
    • Prise en compte des critères ESG dans la gestion.
    • Mais la logique est plutôt d’investir sans perspective de bénéfice pour partie. Très social, mais peu d’autre impact. Et l’impact est très partiel compte tenu de la limite logiquement assez faible des activités ESS dans l’encours, ces dernières se devant d’être sans logique de rendement. Donc, à fonds perdus. L’approche en elle-même questionne sur l’efficacité des fonds fléchés.

 

 

Les labels, une intervention a posteriori qui reste dépendante des règles de gestion financière traditionnelles

 

On peut dire que la démarche est intéressante, mais qu’elle ne vient qu’ajouter une couche de filtrage et de tri, dont le fonctionnement est très sérieux et requiert de lourdes ressources. Surtout, ils subissent l’inertie des méthodes traditionnelles de gestion de portefeuille. Qui elles-mêmes sont des théories mathématiques basées sur des statistiques passées, donc pas forcément optimales (y compris d’un point de vue financier) dans un futur de plus en plus changeant. Au premier rang du fondement de ces méthodes, le principe de diversification. C’est à cause de ce principe que ces différents labels perdent en efficacité, la diversification parfaite incluant tout type de secteur d’activité (y compris des secteurs controversés). 

 

Second problème lié aux méthodes de gestion financière : dans une logique de maîtrise des risques, les fonds sont orientés vers des sociétés de taille importante (par la capitalisation) et donc on retrouve souvent les mêmes entreprises dans le top 10 des lignes des fonds labellisés. Ce qui parfois repose le problème de la diversification comme expliqué ci-dessus. Cela pose également la question de la valorisation plus haute des entreprises américaines (ces dernières étant clairement surpondérées) dans les OPCVM et donc des risques de valorisation portés par les épargnants en complément d’une absence de patriotisme économique qui sera encore plus nécessaire dans un monde décarboné. Mais le plus gros problème posé par l’investissement dans ces très grosses entreprises est la diversité de leurs activités, et un investissement en leur sein irrigue des activités souvent très variables. Par exemple, les entreprises « milliardaires » dans la gestion des déchets aux USA font un peu de recyclage, mais surtout beaucoup d’enfouissement de déchets. De la même manière, dans les fonds labellisés, on retrouve quelques ténors européens, tels que Scheider Electric, Saint Gobain, des entreprises du luxe tel que LVMH ou Kering (et même CWE qui exploite des centrales du pire charbon existant, le lignite !). Entre le mode de vie consumériste des acteurs du luxe, le béton qui est une des principales sources d’émission de CO2, l’utilité réelle d’investir dans ces entreprises dans le cadre de la transition énergétique et sociétale se pose vraiment. À côté, très peu d’interventions directes dans des pures players des secteurs clés (peut-être ne sont-ils pas assez nombreux par rapport aux capitaux à allouer), tel que Véolia ou Derichebourg pour ne citer que deux acteurs cotés en bourse.

 

À tel point que lorsque les acteurs qui utilisent le greensurfing pour mettre en avant l’utilité de placer leur argent qui « dort » dans leur banque vers ces fonds pour éviter l’impact indirect du financement indifférencié que les banques en feront (estimé à 3 tonnes de CO2 pour 15 000€), je me pose la question de l’impact réel de ces financements qui vont se faire sous la forme de prêts à court terme en comparaison d’un investissement en capital, de long terme, au sein d’entreprises dont la totalité des activités sont discutables sans être polémiques. Je ne pense pas qu’il soit réellement possible de mesurer précisément cet impact tant les activités diffèrent et les types de financement également. Mais la question mérite d’être posée.

 

 

Un périmètre d’intervention morcelé et incomplet

 

Troisième problème des labels est cette fois-ci relatif aux labels eux-mêmes : des périmètres variables, non-exhaustifs, et pas forcément complémentaires entre eux. L’univers total des activités à financer n’est pas couvert, il est alternativement très large, ou très restreint. Bref, un travail utile mais embryonnaire. Malgré tout, l’effort de forme du label ISR est à souligner, et serait beaucoup plus utile s’il s’exonérait d’une partie des contraintes de la gestion financière traditionnelle (s’il ne venait pas à postériori des méthodes traditionnelles) et couvrait de manière plus précise les champs comme l’Environnement dans les critères ESG. Avec, par exemple, les secteurs-clés pour 2050 mis en avant par le laborieux mais ô combien utile travail du PTEF (Plan de Transformation de l'Economie Française).

 

Il va falloir appuyer beaucoup plus fort sur l’accélérateur transitionnel et la finance est un levier très important. J’ai peur qu’en l’état actuel des choses, ces labels tièdes mixés à la visibilité qu’ils offrent au grand public orientent les flux d’épargne de manière non-optimale, et ne suffisent pas. L’exemple des cycles d’investissement et de mise en production de nouvelles centrales nucléaires en sont un bon exemple. Pour être opérationnel en 2050, il faudra beaucoup, beaucoup d’investissements d’ici 2030. Et ne parlons pas de tous ces secteurs potentiellement « game changer », encore embryonnaires, vers lesquels la finance traditionnelle évoquée ci-dessus ne s’oriente pas faute de liquidité et de stabilité. Seuls quelques fonds de private equity y vont, et les business angels, mais au prix d’un rapport rendement / risque beaucoup plus hasardeux et d’une liquidité bien moindre. Comme le crowdfunding equity, dont les encours sont encore plus marginaux. Or, ces flux ne suffiront pas. Même si une intervention étatique (appuyée sur plusieurs décennies) est nécessaire pour compenser les risques pris par l’investisseur, elles ne les compenseront pas en totalité et il faut commencer à penser en dehors du cadre traditionnel des placements.

 

 

Dès lors, quelles solutions s’offrent à nous ? 

 

En l’absence de modification des règles régissant le monde de l’asset management (sujet très intéressant mais que nous ne traiterons pas ici), la solution passe selon moi par un thème qui m’est cher : l’investissement direct en actions, et son corollaire, l’éducation financière. Ce faisant, on sort de l’univers très cadré de l’asset management, on s’exonère d’une partie de ses règles, on prend plus de risques, évidemment, mais on se sent tellement plus utile !

 

Un outil, probablement pas assez utilisé pour ce faire, est le PEA. Il permet à la fois l’investissement dans des entreprises européennes cotées, comme non-cotées. Avec une fiscalité attractive en bonus (exonération totale d’impôt sur les revenus pour les PEA ayant plus de 5 ans d’existence). Le vrai sens de l’épargne est là. Mais il faut un minimum s’y intéresser, notamment aux entreprises dans lesquelles on investit. Mais de la même manière que la démocratie nous offre l’opportunité de nous exprimer sur les choix d’orientation sociétale, l’investissement direct dans les entreprises nous offre la possibilité d’influer sur le futur de notre monde. En allouant des capitaux vers certaines entreprises plutôt que d’autres. Et en ayant la possibilité, en complément, de voter les résolutions proposées en conseil d’administration des entreprises au sein desquelles nous sommes actionnaires. Une manière bien plus efficace de donner du sens à son épargne que de confier son argent au premier acteur vert de la finance venu !

 

 

Et de manière plus globale ?

 

Si je peux émettre une recommandation relative aux labels (trop dépendants des techniques de gestion financière), mieux vaudrait une sorte d’engagement de l’Etat envers un certain nombre d’entreprises (de taille modeste pour éviter l’écueil de la diversification des activités) et de filières afin de sécuriser leurs activités et revenus futurs, permettant une valorisation plus importante et plus stable des bénéfices escomptés pour les investisseurs. Ce faisant, les flux financiers pourraient être orientés sans coercition, vers les secteurs cruciaux, et sans dispersion des capitaux engagés. Mais il faudrait également, dans l’idéal, une modification des règles régissant la gestion financière traditionnelle afin de flécher plus de capitaux vers les entreprises où ils seront efficaces en termes de lutte contre le changement climatique et d’adaptation à une société moins consommatrice de ressources. Vers les pure players en somme, qu’ils soient embryonnaires ou déjà installés, la prise de risque pour l’investisseur étant compensée par les engagements des Etats.

 

En complément, si des modifications devraient être apportées aux méthodes d’asset management traditionnelles, d’autres modifications pourraient aussi provenir des distributeurs, qu’ils soient banquiers, assureurs ou CGP. Car de la même manière que la gestion d’actifs vise à limiter le risque pris par l’investisseur tout en optimisant son rendement (devant tout autre objectif), le conseiller ou le distributeur voit son champ d’action limité à des produits régis par ces mêmes règles. Si la réglementation en vigueur vise à éviter à l’épargnant diverses arnaques, son résultat est également une mise en avant de la gestion collective au détriment de la parfaite compréhension et appréhension des mécanismes financiers et de l’impact que l’on peut avoir via son épargne. Il s’agit donc d’une simplification et d’une désincitation à s’approprier ce sujet crucial. L’axe de l’éducation financière est à ce titre doublement efficace : accéder à un niveau de compréhension plus poussé que ce que les intermédiaires proposent lorsqu’ils « distribuent » des placements (et par la même réduire le coût des placements) tout en rendant son épargne beaucoup plus utile pour les enjeux auxquels notre monde fait face et conforme aux valeurs que l’on souhaite porter. 

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